Le chat Ditou

Le chat Ditou

Soléa, roman


Soleà, roman

En 2006, Michel a écrit son premier roman, Soleà. Avec sa permission, je vous le propose donc dans cet article.

 

Tous les commentaires seront les bienvenus !...

_____________________________________

 

Soleà

 

Un vent léger venait de m'arracher à mes pensées. La porte était encore grande ouverte, dernier signe de son départ quelques instants plus tôt.

Je commençais à peine à réaliser que ce que j'avais envisagé quelques semaines auparavant était bien devenu à cette minute une réalité que je ne pouvais plus nier. Pourtant la veille au soir, nous nous étions juré que nous nous aimions, et ce dernier cri qui ne nous engageait plus l'un envers l'autre, ce dernier cri devenu possible parce que la bataille était perdue, nous l'avions poussé avec une sincérité redoutable, attachés l'un à l'autre pour quelques heures encore, comme apaisés avant le grand saut, la rupture et son départ promis pour le lendemain.

Je suis sorti un instant dans le jardin. Son absence dévorait déjà l'espace autour de moi et rendait tout inutile, sans plus aucune signification.

J'ai levé la tête pour m'assurer que les étoiles étaient toujours là… Oui, j'en arrivais à jeter mes derniers espoirs vers ce ciel d'où jamais rien ne vient ?! !… J'ai ensuite regardé au loin quelques habitations éclairées, la vie qui s'animait à quelques pas de chez moi et la mort qui me bouffait de l'intérieur…

Je n'ai pu m'empêcher d'aller faire le tour de chaque pièces dans lesquelles nous avions dernièrement tant souffert et qui étaient à présent plongées dans un silence qui me faisait plus mal encore.

Dans la cuisine, courbé au-dessus de l'évier, j'ai nettoyé l'assiette dans laquelle elle avait pris son dernier repas. Je percevais encore son souffle dans la baraque. J'ai pleuré, lamentablement.

 

Lorsque je me suis réveillé en début d'après midi, j'ai de suite ressenti une douleur terrible m'envahir et me broyer tout entier. Je me suis frotté énergiquement la tête pour tenter de chasser ces putains de pensées, son absence si neuve et si intolérable. Même pas la force de hurler ma détresse. Tétanisé à la simple idée de devoir vivre, loin d 'elle !… Franchir le cap ou bien exploser ?… Le seconde hypothèse me semblait dans l'instant la seule envisageable !

Que faisait-elle à cet instant ? Etait-elle seule ? Pensait-elle à nous ? Etait-elle en train de rire ?… J'ai trouvé un peu de courage pour aller me glisser sous la douche. J'ai ensuite avalé un café noir comme mon âme puis allumé une cigarette devant la fenêtre de la cuisine. Ce putain de soleil printanier m'a brûlé les yeux, j'ai préféré tirer les volets pour ne pas voir davantage ce qui pouvait être pour d'autre, peut-être pour elle, une superbe journée… J'ai compris que j'allais devoir réapprendre à vivre avec cette douleur… Cette douleur qui me dévorait salement…

Za était partie.

                                                            *

Paul est passé le mardi alors que je venais de rentrer du travail. Il était tout sourire et j'ai donc logiquement pensé qu'il n'était pas encore au courrant. Paul était un ami de longue date. Au milieu de ce chaos qu'était devenue ma vie, j'ai été content de retrouver un ami.

- J'ai eu Josiane au téléphone, on se retrouve chez elle aux alentours de 18 heures.

Il a avancé jusqu'au milieu du salon en remuant son trousseau de clés entre ses doigts, je lui ai proposé un verre d'alcool.

- Elle a laissé plusieurs fois des messages sur votre répondeur mais elle n'a pas eu de réponse, elle ne comprenait pas… Alors je lui ai proposé de passer…

- Ecoute, autant que tu le saches, Za ne vie plus ici. Elle à pris un appartement en ville, j'ai lâché d'une voix blanche.

- … C'est vraiment moche, a noté Paul en prenant un air douloureusement désolé, la mine parfaite de l'ami qui partage avec vous la plus pénible des nouvelles. Je suis certain que ça te ferait du bien de voir du monde, ce sera toujours mieux que de rester seul ici,  a-t-il tranché.

J'ai trouvé qu'il rebondissait vite après l'annonce que je venais de lui faire, mais je n'avais pas envie de me tourmenter davantage avec ces considérations-là, Paul était un ami et je lui faisais confiance.

- J'ai promis à Josi, il a insisté en levant son verre comme pour trinquer à une amitié capable de m'apporter le courage nécessaire à ma nouvelle vie, loin de Za.

- Ok ! Je te suis.

J'ai bien pris garde de vérifier que le répondeur était en marche avant de partir, bien que Paul me l'ait déconseillé.

- Et puis tu devrais réenregistrer le message… Il a ajouté. Tu ne devrais pas laisser la voix de Za sur le répondeur… Pour toi, et puis pour elle… Pour qu'elle comprenne que tu as tourné la page…

- Ouais, il faudra que je le fasse… Plus tard…

Toujours est-il que je suis monté dans la voiture, rassuré et soulagé à l'idée qu'elle puisse me laisser un message si l'envie lui en prenait.

En fait, je n'ai pas décroché un mot durant le trajet. Je n'avais pas envie de donner à Paul davantage d'explications concernant le départ de Za. Je crois qu'il l'a compris car il a respecté mon silence. Et puis comment lui dire que chacun de ses souffles, même loin de moi, m'explosait le cœur sans ménagement ?… Comment lui dire que je passais mes journées à espérer un signe de sa part, que dès que je rentrais chez moi je me jetais sur la boite aux lettres comme un malheureux puis sur le répondeur dès le seuil de la porte d'entrée franchi ?… Comment lui dire que je crevais lentement depuis le départ de Za ?

Paul a tourné un peu sèchement à droite, je suis sorti de ma torpeur et j'ai allumé une cigarette. La luminosité était encore parfaite à cette heure du jour. L'été avait pointé sournoisement son nez quelques jours plus tôt et la température était particulièrement agréable. Je m'en voulais de ne pas arriver à profiter de cette fin de journée tiède et ensoleillée mais vivre cela sans Za, ne pas pouvoir partager avec elle ce moment-là ramenait ce putain de ciel bleu à pas grand chose, à rien d'enthousiasment !… Cruel même !… Et puis je pensais que contrairement à moi, elle devait sans doute profiter de cette superbe fin de journée avec un type à ses cotés lui glissant des mots doux à l'oreille tout en lui caressant le dos.

Je n'étais plus vraiment sûr de vouloir passer cette soirée chez Josiane alors que nous arrivions devant chez elle. J'ai coupé directement vers la cuisine. Josiane finissait de préparer une énorme salade.

- Pas de panique, il y a aussi des pattes et de la viande pour ceux qui préfèrent, elle a rigolé en me voyant… D'ailleurs les garçons, vous vous occuperez du barbecue…

- Avec le temps qu'il fait c'est une excellente idée, J'ai acquiescé.

- En attendant, tu peux toujours aller te tremper et prendre un verre au passage… Je suis vraiment contente de te voir… Je croyais que vous étiez mort ! Elle a rigolé.

- C'est tout comme !

- Pardon ? !

- Non, non, rien, fini ta salade, c'est plus important.

Je l'ai embrassé tendrement sur la joue. Je lui dirais plus tard pour Za et puis je savais qu'elle comprendrait d'elle-même en constatant son absence. Il était évident pour Josi que sa meilleure amie ne pouvait pas être bien loin et pourtant, elle n'avait aucune chance de la croiser, je savais de quoi je parlais.

En sortant j'ai rempli un grand verre de whisky pour me donner du courage, pour tenter de rejeter autant qu'il m'était possible les salles pensées qui balayaient mon esprit depuis plusieurs semaines. Tout en buvant une gorgée, j'ai jeté un coup d'œil vers les chaises longues disposées autour de la piscine pour voir s'il en restait une de libre afin d'aller m'y échouer. Par chance il y en avait encore une de libre, je suis allé m'allonger sans hésiter sur cette chaise longue providentielle qui allait me permettre de justifier mon isolement du reste des invités dans un premier temps. J'ai alors allumé une cigarette et observé les personnes présentes ici et là aux quatre coins du jardin. Josi avait l'habitude de lancer des invitations à la volée et il était rare que tous ses invités se connaissent en début de soirée. Il en résultait en général des rencontres plutôt agréables. J'ai fais un signe de la main à ceux que je connaissais et j'ai continué à boire.

J'avais pratiquement le ventre vide depuis le matin et l'alcool me montait un peu à la tête.

Lorsque la fille est sortie de l'eau, un rayon de soleil est venu lui caresser les cuisses. J'ai pensé qu'elle était plutôt bien faite et j'ai préféré détourner mon regard. Je revoyais Za et son sourire illuminant jusqu'aux astres les plus éloignés. Je l'avais dévoré des yeux tant de fois lorsqu'elle sortait de cette même piscine et qu'elle venait poser tendrement sa tête contre moi…

- Salut, elle a lancé en attrapant sa serviette. Marine, je suis une amie de Josiane, je travaille dans la même boite qu'elle, elle a ajouté en tirant ses cheveux en arrière.

- Dan, j'ai répondu.

Je n'avais pas vraiment envie de discuter. Marine était le genre de fille qui dégageait une certaine assurance, le genre de fille que l'on laisse venir sans se sentir obligé de faire la conversation. Ca tombait bien… Elle s'est installée sur la chaise longue voisine de la mienne et a replié ses jambes sous son menton en penchant sa tête vers moi.

- Ca fait du bien d'être en vacances, elle a soufflé en tirant une cigarette de son sac.

- Les vacances, le soleil, c'est vrai que c'est un bon cocktail, j'ai reconnu.

- Le boulot, ça fini par prendre la tête… J'ai eu une réunion importante en fin d'après-midi avec la direction… Jusqu'au dernier moment…

- Moi quand je suis en vacances, je ne pense plus au boulot, je l'ai coupé… En fait, je trouve assez formidable d'être payé à passer du bon temps, non ?

- Sûr, elle a reconnu… Tu sais, je ne voulais pas t'ennuyer en te parlant de mon boulot…

- Justement, n'en parlons plus, j'ai dis en me forçant à sourire…

Elle a réajusté l'échancrure de son maillot au-dessus de ses hanches en me souriant à son tour.

- Et toi, les vacances ? Elle m'a questionné pour me prouver qu'elle savait tenir compte de mes remarques.

- J'y suis !… Je compte déjà essayer de bien les commencer…

- Tu as prévu quelque chose ?

- Non… Mon amie vient de me quitter, j'ai pas vraiment eu le temps d'y penser…

- Ah ? !… Je vais certainement partir quelques jour à la mer avec Josi… J'adore me dorer au soleil, elle a rigolé…

Je lui ai été reconnaissant de ne pas s'être attardé sur l'aveu que je venais de lui faire et j'ai apprécié sa discrétion. Au fond je me demandais bien pourquoi je lui avais balancé un truc pareil, aussi personnel… Peut-être pour qu'elle comprenne mieux la personne que j'étais devenue ?… Sinistre et pas très engageante… Oui, depuis plusieurs semaines j'essayais de survivre loin de Za, je passais mes journées et même plus à me battre contre moi, à essayer d'évacuer les souvenirs comme un abstinent se doit d'oublier le manque qui le ronge…Oui, tout était devenu insignifiant et sans saveur depuis le départ de Za !…

- Se prélasser au soleil avec le bruit des vagues dans les oreilles, le top ! Elle a insisté pour me faire sortir de mon silence.

- Tu as oublié les cigales, j'ai noté avec amusement.

- C'est juste ! On dirait qu'elles chantent les vacances.

- Voilà, le tube de l'été ! Chaque année le même succès… Et discrètes avec ça…

- Et si tu venais avec nous ? Elle a proposé sans prévenir.

J'ai acquiescé d'un signe de la tête pour lui confirmer que ça pouvait être une bonne idée, puis je me suis motivé pour aller me baigner. Paul et Marc me relançaient depuis un moment pour que j'aille les rejoindre.

- Tu viens ? J'ai demandé à Marine.

- Non, je préfère commencer à bronzer sérieusement, elle a souri.

Marc m'a lancé le ballon et nous avons entamé un volley. Ils rigolaient franchement et envoyaient des vannes, comme d'habitude. J'ai continué à leur lancer machinalement le ballon, désolé mais je n'arrivais à partager leur bonne humeur… Paul au moins savait ce qui venait de se passer dans ma vie, je lui en voulais de s'en tenir si éloigné… Il riait dans les éclaboussures, il s'en foutait royalement de ma détresse !… D'accord, je n'avais jamais été un type porté sur les confidences et je ne lui demandais pas de partager mon mal être, mais un minimum, merde !… Au fond, je n'étais pas en train de découvrir que les amis étaient surtout là lorsque vous arriviez à sourire et à partager l'entrain collectif et qu'ils s'éloignaient facilement dès lors que cette bonne humeur vous échappait, dès lors que vous n'arriviez plus à vous inscrire dans la dynamique de groupe… Oui, Marc et Paul étaient là pour s'amuser. Comme les autres qui riaient et parlaient bruyamment sur la terrasse… Comment leur en vouloir ? ! Pour autant, j'étais prés à faire un effort, je voulais essayer de tester ma capacité à pouvoir encore profiter " normalement " de moments pareils, ces mêmes moments que j'appréciais lorsque Za était encore là… Visiblement, j'en étais plutôt incapable… Putain, je n'étais plus le même et cette sensation m'angoissait vraiment, c'était la même vie sous mes yeux mais je me sentais si différent !...

Je me suis séché et rhabillé, j'ai terminé mon verre et je me suis lancé vers la terrasse. Marine était déjà entourée de trois personnes que je voyais pour la première fois et le barbecue commençait à fumer.

J'ai tendu mon verre à un type qui tenait une bouteille de vin à la main et j'ai rejoint ceux qui commençaient à faire cuire ce qui arrivait de la cuisine.

Josi a porté une énième assiette de saucisses et de côtelettes. Elle m'a entraîné un peu à l'écart.

- Je sais pour Za et toi.

- Parfait.

- C'est vraiment dommage…

- C'est bien ce que je pense.

- Dan, on est là, je suis là…

- Merci de m'avoir invité… Ca me fait du bien d'être ici.

- N'oublie pas de manger, a dit Josi après avoir jeté un œil vers mon assiette encore vide.

- Regarde, c'est pas les kilos que j'ai perdus.

- Tu es bête…

- Je vais manger, je l'ai rassuré avant qu'elle ne reparte.

J'ai fini par attraper une côtelette entre deux verres, écoutant distraitement les conversations alentours. Bien entendu j'ai eu l'occasion de croiser plusieurs fois Marine mais nous n'avons pas repris le cours de notre conversation, tout au plus avons-nous échangé quelques regards tandis qu'elle s'amusait à aller de groupe en groupe pour discuter et faire connaissance avec les invités de Josi. Physiquement, Marine avait des atouts certains dont elle savait jouer et elle n'avait aucun mal à attirer l'attention de ses interlocuteurs.

- Ca va ? S'est inquiétée Josi enfin débarrassée de la gestion du repas.

- Oui, ça va.

- C'est une collègue à moi, elle a dit en pointant son menton en direction de Marine.

- J'ai fais sa connaissance tout à l'heure au bord de la piscine.

- Elle est hyper sympa…

- Elle à l'air…

- T'as pas accroché ? Elle a eu l'air de s'inquiéter.

- Si… On a un peu discuté…

- On part ensemble à la mer…

- Je sais… Merde, Josi, tu joues à quoi ?

- A rien !…. Elle s'est défendue

- Tu veux me caser ? ! J'ai grincé.

- Oublie Marine, c'est bon… Elle est juste célibataire, voilà…

J'ai préféré ne pas insister, pas mal de choses s'emmêlaient dans mon crane et Josi ne méritait pas que je passe mes nerfs sur elle.

- Profites des autres, elle a suggéré.

- Promis.

En fin de soirée, Marine a proposé de me ramener. Elle a expliqué à Paul que c'était plus logique puisque c'était sur sa route. Après tout, l'important c'était que quelqu'un me remmène… On avait tous pas mal bu et dans ces cas là, envoyer valser les problèmes à l'autre bout de la terre semble si facile. J'ai pensé à Za en laissant échapper un sourire. Je me sentais serein tout à coup. C'est fou comme quelques verres peuvent vous faire perdre le sens de la réalité la plus criante...

Josiane m'a glissé à l'oreille que je pouvais l'appeler ou passer si ça n'allait pas.

- A bientôt… D'ici quelques semaines, ça ira mieux, a lancé Marc entre deux éclats de rire.

- Quelle expérience de la vie ! J'ai reconnu avant de tourner les talons.

- Quel con ! Il a gueulé dans mon dos.

- C'est ça, je suis devenu con !

Paul m'a rattrapé en posant une main protectrice sur mon épaule.

- C'est pour toi qu'il dit ça.

- Putain, je suis pas au top en ce moment et ce genre de réflexion, ça me fait vraiment chier… Il peut comprendre ça ? !

- Bien sûr…

Il est reparti vers Marc pour lui expliquer que ce n'était pas la peine d'insister, que j'étais pour l'heure incapable d'entendre des choses justes et raisonnables. C'est certain, on y voit de suite plus clair dès lors que les évènements vous touchent de loin… Oui, ils avaient tous une sacré lucidité ! Même Marc qui m'avait juré un jour ne pas pouvoir supporter que Magali le quitte, oui, même Marc faisait preuve à l'encontre de ma situation d'une telle sagesse !

J'ai avalé un dernier verre avant d'aller rejoindre Marine, Josi m'a embrassé, le regard inquiet. Josi avait horreur de voir ses amis s'engueuler, je le savais et je me suis excusé. Ses amis qui s'engueulaient, c'était son monde qui vacillait, je le savais et je regrettais d'avoir réagi ainsi.

- Je suis désolé, vraiment.

- Allez, vas-y, elle m'a conseillé.

Paul n'a pu s'empêcher de me faire un dernier clin d'œil idiot au passage.

- Elle est plutôt mignonne la copine de Josi…

- Elle me ramène, j'ai répondu froidement.

- Je sais que tu vas sortir de cette mauvaise passe, il a affirmé sur un ton amical.

- T'as de la chance de le savoir… Moi j'en sais rien, j'ai conclu en le plantant au bord de la terrasse.

Paul me décevait. Je vomissais sa pitié déguisée en amitié, ses sous-entendus foireux, pareil.

Marine m'attendait devant la baraque, elle a accroché un rayon de lune à ses cheveux pour me rappeler que tout n'était pas vraiment perdu. Une odeur de vanille flottait dans sa voiture. Je me sentais plutôt bien, assis à coté d'elle et je crois qu'elle l'a senti.

Lorsque nous sommes arrivés devant chez moi, elle n'a pas hésité et m'a proposé de prolonger la soirée chez elle. J'ai accepté. Tout était prétexte à fuir les moments de solitudes contre lesquels je luttais depuis le départ de Za.

- Dans une demi-heure je suis chez toi. Le temps de prendre une douche pour me rafraîchir et j'arrive..

Elle a attrapé une feuille et un stylo dans le vide poche pour m'expliquer le plus clairement possible comment me rendre chez elle. Elle voulait être sûre que je ne me perde pas en route…

- OK…à tout à l'heure, elle a dit une fois certaine que j'ai bien compris ses indications.

Tout en introduisant la clé dans la serrure, j'ai pensé que j'aurais peut-être un message de Za. Je suis d'abord allé dans la cuisine boire un grand verre d'eau. En fait, je retardais le moment ou j'irais me planter devant ce foutu répondeur… Bien qu'après tout si elle était partie, ce n'était pas pour me téléphoner tous les jours. Mais bon, je crevais d'envie d'aller voir… Et là, rien, aucun signe de vie sur ce maudit appareil !… Elle n'avait donc pas ressenti le besoin d'entendre ma voix, de me parler. Elle devait avoir mieux à faire !

Je me suis rendu à la salle de bain en courbant le dos, l'alcool n'avait pas fait de miracle, Za ne reviendrait pas et la violence de cette évidence balayée quelques minutes plus tôt par ce même alcool me bousillait la cervelle et le corps tout entier, je ne m'étais toujours pas habitué à ce vide, pas même à la douleur qui en résultait. Je subissait, j'encaissais les coups sans pouvoir en rendre un seul… Affreux !…. On avait tant partagé depuis plus de dix ans, comment accepter le silence qu'elle imposait entre nous à présent ? !… Transformer si subitement notre complicité en totale indifférence comme si rien n'avait existé auparavant, comment pouvait-elle si facilement arriver à supporter ça, à l'accepter, pire, à apprécier de vivre en ayant perdu tout cela ? !

En sortant de la douche, je me suis arrêté devant la glace dans l'entrée ; j'y ai vu un type au regard vide qui se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire de sa vie, sûrement pas un feu d'artifice !

Lorsque je suis arrivé chez Marine, j'ai pensé que ce n'était pas forcément une bonne idée de débarquer chez elle à une heure pareille. En acceptant son invitation, peut-être lui avais-je laissé entrevoir des choses qui étaient alors bien loin de m'effleurer l'esprit.

J'ai poussé la grille du portail et je suis allé taper directement à la porte.

Après m'avoir fait un large sourire pour me remercier d'être là, elle m'a invité à m'asseoir sur un fauteuil aux formes rondes et confortables, puis elle s'est installée face à moi, sur le canapé. Marine avait mis de la musique, du blues, des guitares sobres et incisives, une voix grave, c'était un truc excellent…

- Tu aimes ? Elle m'a questionné.

- J'adore.

- Un point en commun, elle a souri.

- J'ai toujours attaché de l'importance aux goûts musicaux des personnes que je découvre.

- Alors j'ai de la chance, elle a rigolé.

-En quelques sortes oui… Mais ne va pas te faire d'idée pour autant, j'ai rectifié.

- J'apprécie le compliment, voilà tout, elle s'est agacée.

- Désolé… Ca tourne pas rond là-dedans en ce moment, j'ai dit en pointant l'index sur mon crane.

Elle s'est quelque peu détendu. Elle en a profité pour remplir mon verre et le sien.

- C'est du punch, ça te va ?…

- Parfait.

- C'est une amie réunionnaise qui me fourni.

- Je vois que tu as aussi de bonnes adresses.

- Ca t'as surpris que je t'invite chez moi ?

- Non… Enfin, j'ai pas réfléchi à ça.

- Je t'ai regardé souvent durant la soirée… Peut-être que tu n'y a pas fait attention…

Elle a allumé une cigarette. Elle semblait avoir un peu perdu de son assurance, elle a laissé passer le solo de guitare avant de reprendre.

- Josi m'avait dit que tu n'étais plus avec Za, elle a attaqué.

J'ai bu une gorgée pour cacher ma surprise.

- Ca te gène  que Josi m'ai parlé de Za, de toi ? Elle s'est inquiétée.

- C'est son problème, j'ai dit sur un ton nerveux… N'en parlons plus…

- D'accord…

Je me suis senti tout à coup prisonnier du piège monté par Josi. Finalement elle avait réussi son coup puisque je me retrouvais chez Marine. Certes, c'était pour tenter de trouver un remède à mes mots de cœur que Josi avait eu cette idée, cette rencontre arrangée avec Marine. Mais bon, je lui en voulais d'avoir eu recours au mensonge pour m'aider, je lui en voulais d'avoir d'être sûrement de mèche avec Za pour essayer de m'arracher à cette séparation qui me faisait souffrir. Putain, c'était tellement évident, pourquoi n'avais-je pas refusé cette soirée chez Josi, j'aurais pu plus facilement continuer à croire au retour de Za… Je savais trop bien que je ne pouvais pas vivre sans cet espoir !

- C'est Josi qui t'a demandé de me ramener ? J'ai grincé.

- Non ! J'avais envie de rentrer avec toi.

Pour effacer ce mauvais départ, Marine m'a proposé de trinquer à nos congés qui débutaient tout juste.

C'est alors qu'elle a décroisé assez largement ses jambes pour attraper son verre sur la table basse, découvrant un instant sa culotte d'un gris métallique surprenant.

- J'en ai parlé à Josi, elle aussi serait contente que tu viennes passer quelques jours avec nous à la mer, elle a insisté. Il y a l'immeuble et la mer juste à coté. Qu'est-ce que tu en dis ?

- Il faut que je voie mais à priori, pourquoi pas…

Le fait est que le départ de Za était si récent que j'avais du mal à faire des projets sans penser à elle. Et si finalement elle m'appelait pour que l'on parte tous les deux ?…

- Ne te sens pas obligé de me donner une réponse ce soir.

- Je te promets d'y penser et de vous donner rapidement une réponse, j'ai dit sans conviction.

Peut-être pour m'aider à prendre plus rapidement a décision, elle a prétexté qu'il faisait chaud puis elle a déboutonné le haut de son chemisier, m'offrant ainsi une vue plongeante sur son décolleté.

- Si on songeait à passer un bon moment tous les deux ? Après tout y a rien de mal à ça…Et j'ai très envie de toi !

J'ai allumé une cigarette pour me laisser le temps de souffler un peu.

- Excuses moi si je te choques… Elle a enchaîné. Ce n'est pas dans mes habitudes d'être aussi directe … Et puis si ce soir on se retrouve tous les deux ici, il n'y a aucunes raisons pour qu'on ne pense pas à nous.

J'ai tiré encore quelques longues bouffées.

- Je ne serai pas le premier à te dire que tu es séduisante...

- Merci ! S'est-elle empressée de répondre avec un large sourire. Allez, viens me rejoindre.

- J'ai juste envie de te baiser, j'ai ajouté avec une méchanceté idiote et inutile.

- C'est un début, elle a souligné en dégrafant carrément son chemisier.

Je suis alors venu m'asseoir à coté d'elle. Je l'ai embrassée, et sans attendre, j'ai continué de la déshabiller avant de glisser une main entre ses cuisses et d'y enfouir ma tête. Elle gémissait, m'incitant à continuer. Je l'ai prise ensuite sans ménagement sur le tapis du salon. Après tout c'est ce qu'elle voulait… Et je n'avais alors aucune envie de décevoir ses attentes !

Je savais bien que j'étais en train de me perdre, mais si l'enfer devait ressembler à ça, alors ma souffrance serait plus douce, et j'arriverais même à m'en accommoder un jour !

Za n'imaginait sans doute pas que j'ai pu faire un truc pareil alors qu'elle venait de me quitter. Je ne me sentais pas vraiment fier. Aussi bien elle n'en avait plus rien à foutre de ma vie !… Une fois notre affaire terminée, le souffle court, je me suis levé pour aller prendre l'air sur la terrasse.

Marine m'a rejoint, elle m'a tendu une cigarette et mon verre. J'aurais voulu oublier à cet instant de penser pour retrouver la paix. Beaucoup de choses se bousculaient dans ma tête. Devais-je accepter le plaisir que je venais de prendre, ayant échappé quelques minutes au mal-être qui me rongeait depuis le départ de Za ? Ou bien devais-je-m'en vouloir de n'avoir pas su rejeter les avances de Marine, ce qui m'éloignait à coup sûr définitivement de Za ?

- Je ne regrette rien et j'ose espérer que l'on n'en restera pas là. Je me sens tellement bien avec toi, m'a-t-elle soufflé à l'oreille, puis elle a envoyé au diable un nuage de fumée dans la douceur du petit matin.

- J'aimerais que ce soit aussi simple … Je suis désolé mais je ne peux rien te promettre. Je ne peux même pas t'assurer que j'arriverai un jour à l'oublier, alors…

- Je comprends… mais sache qu'il n'y aurait rien eu entre nous ce soir si je ne t'aimais pas !

Là elle m'a scotché, je dois bien le reconnaître. Voilà qu'à présent elle me parlait d'amour alors que j'avais envisagé notre relation sur un plan purement sexuel. Elle avait pris du plaisir, à vrai dire moi aussi mais il fallait à présent composer avec les sentiments enfiévrés de Marine et honnêtement, je ne m'y attendais pas.

- Je crois que nous ferions mieux d'aller nous reposer. On y verra forcément plus clair après quelques heures de sommeil, qu'es-ce que tu en dis ?

- Si ça peut t'aider à considérer notre histoire autrement, alors oui, je suis d'accord pour que l'on mette un terme à cette longue soirée. Mais tu peux rester dormir là si tu veux…

- C'est gentil, je préfère rentrer. Je t'appelle dans la journée pour que l'on reparle de tout ça.

Je me suis rhabillé tandis que Marine restait nue dans les premières lueurs du jour, laissant éclater toute sa féminité. Je l'ai trouvé belle…

- Quoiqu'il arrive je n'oublierai pas le moment que l'on vient de passer ensemble, elle a dit en venant se serrer contre moi en signe de remerciement.

Lorsque j'ai posé un pied sur le trottoir, le soleil inondait la rue. J'avais encore la douceur de sa peau sur mes doigts, le goût de son sexe sur mes lèvres, l'odeur de son corps dans mes narines, la plus parfaite négation de Za !… J'ai cligné des yeux et j'ai décidé de filer dans le café le plus proche. Là, au milieu des tables encore désertes, j'ai commandé un café et un alcool fort. Je n'avais pas envie de rentrer, j'étais bien dans cette immobilité matinale qui semblait me préserver de mes démons. De Za !

                                                            *

Retour à la baraque. Je n'avais pas eu envie de traîner davantage en ville. Douleur. La nuit blanche, passée avec Marine semblait si loin déjà. Quelques flashes.

Nouveau face à face avec ce foutu répondeur.

TUT "  Dan ? !…C'est Za. Visiblement tu n'es pas là… Je ne veux pas en rajouter mais il est préférable que tu ne te fasses aucune idée me concernant. Ca n'efface pas ce que l'on a vécu ensemble, alors gardons les bons souvenirs et restons-en là. C'est mieux ainsi… Autre chose, j'ai emménagé dans l'appartement de Paul… bise… " …

Je suis resté sonné. J'avais tout entendu et bien que j'ai eu envie de réécouter le message pour m'assurer que j'avais bien tout compris, j'ai préféré aller me jeter sur le lit. Malgré la tempête qui cognait dans ma tête, j'ai trouvé de suite le sommeil.

Je me suis réveillé en milieu de journée, constatant que j'étais incapable de faire quoi que ce soit. Cafés, cigarettes… Je haïssais Za tout autant que j'avais envie de mettre mon poing dans la figure de Paul. Cet enfant de salaud n'avait eu aucun scrupule à me poignarder dès que j'avais eu le dos tourné. Il avait préféré baiser Za, quitte à foutre en l'air notre amitié, valeur qu'il disait mettre au-dessus de tout ! J'étais écœuré. Comment avais-je pu être aussi naïf ?

J'ai fini par attraper le téléphone en fin d'après-midi pour appeler Marine. J'avais besoin de la voir, de lui parler. On s'est mis d'accord pour se retrouver le soir en ville. Il fallait que je bouge car j'allais devenir fou ! J'ai bien envisagé de passer avant chez Paul pour m'expliquer avec lui, mais cette ordure n'en valait pas la peine. J'ai préféré prendre la voiture pour aller au lac du Frenet qui se trouvait à dix minutes de la maison. C'est là où Za et moi avions échangé notre premier baiser. Le début de notre histoire… Le plan d'eau était entouré d'arbres et de verdure à perte de vue. On ne pouvait que retrouver le calme dans un endroit pareil. J'ai marché sans m'en rendre compte deux bonnes heures. Des rires d'enfants vous rappelaient que l'on pouvait aussi être heureux, il suffisait d'y croire. J'ai pensé à Marine…

Elle m'attendait depuis plus d'une demi-heure d'après ce qu'elle a dit. Elle rayonnait. Elle ne laissait rien paraître de ses doutes. Elle semblait prête à tout pour me séduire.

- J'ai eu un message de Za en rentrant ce matin. Elle a été claire, je n'ai plus rien à attendre de sa part… Ca me fait mal mais au moins je sais quoi penser à présent ! C'était important que tu le saches.

- Alors peut être que j'ai une chance ? M'a t-elle interrogé d'un air malicieux.

- Faut voir… J'ai souri.

Nous avons opté pour un des vieux quartiers du centre, pas très loin des quais. Le ciel était ocre et chacun essayait de reprendre son souffle après une journée passée à chercher la moindre parcelle d'ombre. Nous avons découvert, au détour d'une rue, un restaurant avec une petite cours intérieure charmante.

Tout au long du repas, nous avons eu une conversation légère et décousue pour préserver l'harmonie, encore fragile, qui nous unissait.

Ce soir là, c'est chez moi que nous avons fait l'amour, avec la même fougue que la veille. J'avoue que partager un moment d'intimité avec une fille, là où j'avais tant de fois étreint Za m'a laissé une impression étrange.

                                                               *

Ce matin là, j'étais décidé à ranger. J'avais la journée devant moi, Marine étant à son boulot pour régler quelques détails avant de partir en congés. Quel capharnaüm !… Par où commencer ?… J'ai opté pour la cuisine.

Tout était nickel à présent sauf le bureau. Je savais que ce serait plus pénible, forcément. C'est là où se trouvaient toutes les photos toutes les photos – nous n'avions jamais pris le temps de les classer dans des albums – entassées dans des boites à chaussures. L'évidence de notre bonheur passé était là, devant mes yeux rougis. Oui, on s'était aimé follement.

Enfin la maison était en ordre… Restait à faire de même dans ma tête !

J'ai pris la voiture pour aller faire quelques courses, ayant promis à Marine un repas pour marquer le début, cette fois effectif, de ses vacances. Je m'étais remué les méninges pour trouver le menu mais comme mes aptitudes culinaires étaient limitées, j'avais préféré m'en remettre à un traiteur que l'on m'avait recommandé.

Sur le trajet, j'ai aperçu la voiture de Paul et j'ai de suite reconnu Za à ses côtés. Cette image violente a fini de me déglinguer vraiment. J'aurais pu traverser la ville, ignorant tous les feus rouges, si un violant crissement de pneus et un bruit de tôle froissée n'était venu me sortir de ma torpeur !… Le type était livide, il avait eu chaud… Il s'est éjecté de sa voiture pour venir me hurler à la figure toute sa colère. J'étais pour ma part encore sous le choc, mais pas celui dont il était alors question.

- Je sais, tous les torts sont pour moi, j'avais la tête ailleurs ! J'ai dit pour le calmer.

Il s'est alors miraculeusement détendu, bien que l'aile avant de son véhicule soit sérieusement endommagé. Nous avons ainsi pu remplir le constat dans le calme. Je voulais en finir au plus vite, encore obsédé par l'image de Za rigolant aux cotés de Paul.

Je me suis garé un peu plus loin, à la vue de la première cabine téléphonique. J'avais sur moi le numéro de téléphone de Marine à son travail. Je savais qu'elle devait finir tard, j'ai tenté ma chance.

- Marine, c'est Dan. Ne me demandes pas pourquoi, mais remettons à demain le repas de ce soir…

J'ai perçu un léger silence avant qu'elle ne me réponde :

- D'accord... De toutes manières, j'étais partie pour finir encore plus tard que prévu, mais j'espère qu'il n'y a rien de grave ?…

- Non… Enfin, ça ne vient pas de toi, si ça doit te rassurer. C'est pas la peine que tu viennes si je dois être absent toute la soirée. J'ai besoin de régler certaines choses, tu comprends ?… Tu sais, je tiens pas la grande forme en ce moment, mais je me soigne !… Ai-je fini pour tenter de la faire sourire.

- Oui, je comprends… Ce n'est que partie remise, a-t-elle conclu, déçue.

- Bon et bien, à demain…

- A demain... Je pense fort à toi !

J'ai filé vers le quartier chaud. Les gens que je pouvais croiser ne respiraient pas la joie de vivre… Parfait !… Au moins n'étais-je pas en décalage avec tous ces anonymes… Ici, tout le monde semblait avoir droit au malheur, c'était rassurant !… Ma promenade sordide jalonnée de haltes dans des bistrots sinistres s'est terminée dans une chambre avec une gamine qui ne devait guère avoir plus de dix huit ans.

- C'est la première fois que je fais ça, j'ai dit. Mon amie vient de me quitter… Mais je dois t'emmerder avec mon histoire !

- Non !… Si tu as besoin de parler, continu… Elle a répondu avec un détachement infini. Qu'est-ce que tu veux faire, l'amour ou bien ?

- Rien, je l'ai coupé. T'es jeune, t'es mignonne. Même si ça peut te paraître bizarre, je me vois pas payer pour faire un truc pareil.

- Je peux me mettre nue, tu me regarderas et tu pourras me caresser un peu si tu en as envie… t'as payé après tout, alors profites en !…

- D'accord, mais continuons à discuter, j'ai lâché d'une voix blanche...

On est resté ainsi un bon moment. Moi la caressant et lui racontant mes conneries, elle fumant distraitement des cigarettes. Une sorte de confessionnal pour personnes à la dérive.

J'ai fini ma nuit dans un club, complètement ivre.

Lorsque je suis rentré, j'ai avalé deux grands cafés et je suis allé m'allonger sur le canapé du salon. J'ai fixé le plafond lisse comme ma vie. Qu'est-ce que je cherchais au juste ?… A me prouver que Za avait eu raison de partir parce qu'au fond je n'étais pas quelqu'un de très intéressant ?… Ma façon d'envisager la vie avait-elle changée à ce point ?…J'arrivais à peine à garder les yeux ouverts, mais je voyais bien que j'étais en train de tout gâcher !… L'alcool me jouait un sale tour. Je me suis pris la tête dans les mains. Pourquoi me détruire ainsi ?… Après tout je n'avais tué personne que je saches !… A part moi… peut-être !

                                                            *

Nous sommes partis rejoindre Josiane à la mer deux jours plus tard. Elle était arrivée la veille et nous y attendait.

La route était peu encombrée, souvent déserte. On avait préféré partir tôt le matin afin de mieux rouler, et de ce point de vue là, c'était parfait !… Pour le reste, je dois admettre que ma décision de reporter le repas avait finalement jeté un léger malaise entre nous, et lorsque nous nous étions retrouvés le lendemain, Marine avait affiché un sourire forcé que j'avais de suite remarqué. Nous avions peu discuté, préférant souvent de longs silences. Bien sur nous avons fait l'amour, tendrement ce soir là, histoire de ne pas se séparer sans tenter de dissiper ce mal entendu… Et puis ma décision de partir à la mer avec elle avait convaincu Marine d'adopter une attitude plus consensuelle.

A la sortie du dernier péage, je lui ai proposé de prendre les petites routes coincées dans l'arrière pays. Ce serait toujours plus agréable que de couper au plus court vers le bord de mer. C'est vrai on mettrait plus de temps, mais on arriverait sans problèmes à l'heure pour le repas … Il était encore tôt, on n'était pas pressé… Elle a pris un air songeur, puis elle m'a souri. Elle était d'accord.

Avant d'attaquer les premiers lacets, on a baissé les vitres, laissant ainsi pénétrer le soleil qui donnait le maximum dans un ciel bleu azur, l'air marin qui déjà nous salait exagérément la peau, et le chant des cigales, c'était quand même mieux que la radio dans un décor pareil.

J'ai pensé à Za et aux souvenirs qui nous unissait à cette région. Même éloigné de Za, je continuais à faire la route avec elle, elle dans ma tête et mon cœur qui tressaillait.

- Tu penses à quoi ? A demandé Marine en me tendant une cigarette.

- A rien, j'ai répondu, agacé.

- On pense toujours à quelque chose.

- Ne m'en demande pas trop…

- Tu m 'aimes ?

- Merde, Marine, je ne t'ai rien promis, pas plus en venant avec toi ici…

- Ca va, elle m'a coupé nerveusement. C 'était juste une question.

- Désolé pour la réponse.

- Tu es certain de vouloir l'oublier ? !

- On se complet rarement dans la souffrance… Alors oui, je préfère l'oublier… Cette volonté-là m'habite chaque jour…

- Mais elle, tu l'aimes encore ! Elle a asséné en regardant la route.

- Certainement… Sinon je l'aurais déjà oublié et tout serait plus simple pour moi !

- Tu es un type trop compliqué…

- A toi de voir… Je lui ai envoyé pour recadrer la situation.

- Pour pouvoir juger d'une relation, encore faut-il s'engager !

- Je me suis engagé le premier soir où je suis venu chez toi… Mon engagement peut te paraître limité mais je suis sincère avec toi… C'est pour ça aussi que je ne veux pas que tu te fasses des idées fausses…

- J'ai toujours eu du mal à décoder les sous-entendus, elle a dit en se grattant la tête.

- Marine, je suis devenu un type fragile… Avant je recherchais le bonheur, pour l'instant je cherche simplement à ne plus souffrir…

- On verra bien ! Elle a conclu tandis que nous débouchions sur le front de mer, avec ce bleu partout dans les yeux et le soleil qui brillait jusqu'à l'horizon.

- Après tout qu'est-ce que l'on risque ? ! Elle a ajouté avec un sourire crispé.

Josiane nous a sauté au coup lorsque nous sommes arrivés. Elle nous a ensuite indiqué notre chambre avant que l'on ne se retrouve sur la terrasse.

- Alors, qu'est-ce que vous dites de cette vue ? Elle a demandé, certaine que l'on adorerait.

- Y a pas à dire, c'est splendide, s'est exclamée Marine.

- Il faudrait être difficile pour prétendre le contraire, j'ai rajouté.

Finalement nous étions plus loin de la plage que prévu, mais on n'y perdait pas au change. De la terrasse de l'appartement, on donnait sur une superbe calanque entourée de falaise rouges qui plongeaient abruptement dans une eau incroyablement claire…

- Bon, je vais me mettre en maillot, ça me permettra de me sentir vraiment en vacances, a dit Marine en me fusillant du regard.

Une fois seule avec moi, Josi s'est appuyée à la rambarde de la terrasse, j'ai trouvé qu'elle était déjà pas mal bronzée. Pour la première fois depuis que je la connaissais, je l'ai sentie embarrassée par notre amitié.

- Tu fais la tête ?

- Non, pourquoi ?

- Pour l'autre soir…

- Vous m'avez pris pour un con mais bon, c'est pas l'essentiel pour moi en ce moment.

- Dan, tu n'aurais peut-être pas accepté de venir à la soirée si tu avais su…

- Certainement, je l'ai coupée.

- Et avec Marine ? Elle m'a questionné pour tenter de rattraper la bonne branche.

- En fait, on baise bien ensemble mais on n'a pas encore prévu pour le mariage !

- Je l'avais invitée sans arrière pensée, elle s'est défendue.

- Ouais… Tu lui avais juste parlé d'un gars qui venait de se faire larguer par sa copine et qui passerait par-là…

- Tu te trompes…

- Le moins que j'espère, c'est que Za n'est pour rien dans ta décision de m'avoir présenté Marine.

- Oui, je te l'assure !

- Tu as une bière au frais ?

- Dans le frigo, elle m'a indiqué sèchement.

 

                                                              *

J'aimais partir me baigner tôt le matin. Les filles préféraient prolonger tranquillement le petit déjeuner, il y avait toujours une montagne de fruit sur la table, je les laissais même avec soulagement à leurs discussions matinales.

Je filais alors vers la calanque encore vierge de baigneurs et là, isolé, je buvais sans soif ma solitude, ma putain de vie ratatinée à si peu de choses… Le décor était pourtant magnifique, incitant à la détente et au bien être, je restais tendu, ravagé par cette absence qui me coûtait tant d'efforts pour la combattre… Je nageais de longues minutes en essayant de ne penser qu'à l'eau fraîche qui s'écoulait le long de mon corps.

Les filles débarquaient en milieu de matinée et continuaient de discuter une fois leurs serviettes étendues sur les rochers les plus confortables. Avec Marine nous communiquions très peu.

" C'est drôle comme l'on s'éloigne depuis que l'on est arrivé, elle m'avait dit la veille au soir. Pour s'éloigner, il faut d'abord être proche, j'avais noté. On va y arriver, elle avait affirmé. "

Je ne pouvais m'empêcher de penser à Za… Et à Paul… A Za sans Paul, c'était plus facile, j'arrivais alors à mettre encore de la proximité entre nous. Je niais autant que j'essayais de l'oublier… Impossible ! Je savais trop que Za n'était pas passée dans ma vie comme une autre fille aurait pu le faire… Non, j'avais aimé profondément cette fille, elle et pas une autre… Je l'avais aimé comme l'on aime lorsque l'on est certain de partager sa vie avec la personne la plus merveilleuse qui soit. Za était feu et glace, forte et si fragile parfois, toujours généreuse et honnête avec les autres. Merde, comment l'oublier ?… Je lui reprochais bien de ne pas avoir cru plus fort en nous et d'être tombée dans les bras de Paul qui n'avait jamais eu de respect pour aucune fille, Za restait quelqu'un de rare, quelqu'un que je ne pouvais pas objectivement haïr !… Pourtant cela restait ma lutte, mon combat, me persuader que je pourrais arriver à retrouver loin d'elle les plus belles émotions que j'avais connu à ses cotés… Parfois j'essayais d'y croire mais ce mensonge avait encore trop peu de consistance face à la douleur de l'absence qui me rongeait… Pourquoi avais-je accepté de venir passer quelques jours à la mer avec Marine ?… Je me posais chaque jour la question, je n'avais que Za comme unique réponse !

Je sentais chez Marine un agacement grandissant à me sentir indifférent aux efforts qu'elle pouvait faire pour me séduire. Je la trouvais agressive lorsqu'elle voulait être tendre, vulgaire lorsqu'elle s'employait à m'exciter. Elle ne comprenait pas qu'en fait, chacune de ses attitudes me prouvait à quel point Za était formidable. Za savait être divinement excitante sans jamais être vulgaire et peu de filles savaient jouer de ce paradoxe féminin… Elle était aussi belle et provocante qu'elle savait être douce et tendre.

Marine semblait trop sure d'elle pour douter que je ne puisse me détourner d'elle, elle me lançait des regards terribles comme pour me mettre en garde, on continuait de baiser ensemble mais aucune complicité s'installait entre nous. Marine croyait peut-être que tant que son petit cul faisait effet sur ma personne, elle ne risquait rien… Marine bataillait dans sa vie professionnelle pour être la meilleure et elle n'acceptait de contraintes ou de problèmes à résoudre que de ce coté là. Elle me l'avait expliqué, pour elle, seule sa carrière professionnelle méritait des concessions et elle ne voulait pas être emmerdée dans sa vie affective, elle voulait y trouver de la sécurité, surtout.

                                                             *

Nous étions encore au lit lorsque le téléphone a sonné. J'ai tendu l'oreille pour savoir de quoi il s'agissait, mais Josiane parlait trop bas pour que j'entende, j'ai pensé que c'était personnel, et je n'ai pas insisté.

Lorsque je me suis levé quelques minutes plus tard, Josi était dans la cuisine, pensive, attendant que le café se fasse. Elle a sursauté en me voyant.

- Désolé de t'avoir fait peur.

- Non… Je ne t'avais pas entendu venir… ça fait longtemps que t'es réveillé ?

- J'ai entendu le téléphone, j'ai pas pu me rendormir.

- … Tu veux un café ?

- Volontiers.

Marine dormait encore. On entendait au loin le bruit des vagues. On est allé sur le balcon pour ne pas faire de bruit. J'aimais cette odeur de café frais le matin. Josi regardait l'horizon, évitant surtout de croiser mon regard, je crois. J'ai joué le jeu, ce qu'elle avait sur le cœur ne devait pas être facile à dire. Visiblement, ça avait l'air de me concerner. J'ai allumé une cigarette pour patienter, après tout si c'était une mauvaise nouvelle, je pouvais bien attendre un peu !…

- Dan ?…

- Oui, je t'écoute…

- Le coup de fil de ce matin… c'était Za !

- Et alors, quel est le problème ?… J'ai répondu, décontenancé.

- Et bien voilà, elle débarque ici en fin de journée.

- Comment ?… Elle manque pas d'air ! Qu'est-ce qu'elle vient foutre ici ? J'ai crié.

- Attends, qu'est-ce que tu voulais que je lui dise ?…

- Rien, tu as raison !

A ce moment là, Marine nous a rejoint. Elle s'est étirée mollement.

- Il reste du café chaud ? Elle a demandé en ramenant ses cheveux en arrière.

- Assieds-toi, je vais en refaire, j'ai dit..

- Vous en tirez une tête ce matin ! Elle a ajouté. Qu'est-ce qui se passe ?

- Josiane va t'expliquer !…

- Oh ! C'est quoi cette histoire ?

- Za vient nous rejoindre ici… Elle m'a téléphoné ce matin… je n'étais pas au courant, je n'ai pas su quoi lui répondre…

On a finalement décidé d'arrêter d'en parler, on y changerait rien. On avait quelques heures devant nous…. Mais j'étais troublé à l'idée de revoir Za… Marine l'a perçu, elle a tiré sur sa chemise de nuit pour cacher un peu ses cuisses.

- C'est pas terrible comme nouvelle !… Qu'est-ce que tu en penses ?… Elle m'a interrogé, les yeux rivés sur sa tasse.

- En fait, je sais pas pourquoi elle a décidé ça ? !.. Mais ce qui est certain, c'est que j'aurais préféré ne pas la revoir… plus maintenant en tout cas.

- Dan, j'espère que si elle vient pour te reconquérir, elle n'a aucune chance d'y parvenir…

J'ai allumé une cigarette et je me suis levé, au loin la mer était calme. J'ai entendu claquer la porte de la cuisine dans mon dos, je me suis retourné, Marine n'était plus là. Josi était restée au fond de la cuisine pour nous laisser un peu d'intimité, elle s'est ravisée et elle est venue me voir.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Marine est sortie de la pièce, ça se voit non ? ! J'ai répondu avec sarcasme.

- Ecoute, la situation est particulière…

- Oui, particulière !

- Marine travaille avec moi, tu le sais… Je n'aimerais pas que tu joues au con avec elle.

- Pardon ? J'ai failli m'étouffer.

- C'est moi qui lui ai parlé de toi, c'est vrai… Tu comprends, tu lui as plu, bien entendu, mais elle m'a fait également confiance…

- Continues…

- J'espère que tu es sincère avec Marine, c'est tout …

- Tu t'inquiètes pour qui ?… Pour Marine face au méchant Dan ? !

- Non, Non… Si tout pouvait bien se passer, elle a dit en serrant ses mains.

- Rafraîchis-moi la mémoire… Tu nous as connus ensemble, Za et moi ? Tu t'en souviens ?

- Oui, elle a répondu, surprise.

- Alors comment peux-tu penser qu'aujourd'hui il ne reste rien des dix années que j'ai passé auprès de Za ? … Et partager dix ans la vie de Za… D'accord, on n'a jamais été très démonstratif en public, mais bordel, on s'est aimé !

- Mais Marine… Et puis Za vit chez Paul…

- Je sais ! J'ai hurlé. Tiens, j'avais oublié, il compte venir ici avec elle ? !

- Je n'en sais rien… Ne t'énerves pas, elle m'a supplié.

- Je n'ai rien promis à personne, pas plus à Za, qu'à Marine, qu'à toi !

- J'ai dit à Marine que tu étais quelqu'un de bien, elle a fini par lâcher en baissant les yeux.

- Et alors ?… Tu n'en es plus aussi sure ?

- Si, si…

- Arrêtons de parler de tout ça et attendons, on verra bien...

- Je compte sur toi, elle a conclu avec un léger sourire.

Josi a décidé d'aller voir ce qu'il y avait dans les boutiques du bord de plage, elle voulait s'occuper l'esprit. Marine a sauté sur l'occasion pour l'accompagner, elle a juste pris le temps de me fusiller du regard avant de quitter l'appartement.

Je me suis retrouvé seul sur la terrasse, j'avais l'impression d'être une grenade prête à exploser. La matinée était bien entamée, les filles parties, j'ai pensé qu'il était plus sage d'aller me baigner plutôt que de regarder les minutes s'égrainer.

Je sortais de l'eau après avoir nagé une petite demi-heure lorsque j'ai aperçu Marine qui me regardait derrière ses lunettes de soleil. Je me suis agrippé au rocher et j'ai attrapé ma serviette, elle a adopté une pose de starlette prête à être mitraillée par un essaim de photographes.

- J'ai laissé Josi dans la boutique, il n'y avait rien d'intéressant.

- C'est plus tranquille ici.

- Et puis j'avais envie d'être avec toi.

- J'ai essayé de me rafraîchir les idées, j'ai dit en souriant.

- Et alors ?

- J'ai pas du rester assez dans l'eau, j'ai soufflé.

- Je pensais que me voir t'aiderait à clarifier la situation…

J'ai enfilé le tee-shirt, Marine faisait la grimace.

- On y va ?

- Je te suis, elle a aboyé.

Le soleil était brûlant sur mes jambes, cette putain de belle journée et l'arrivée imminente de Za remuait jusqu'au dernier souvenir heureux enfoui au plus profond de ma cervelle. Tous ces moments de pur bonheur, partagés avec Za venaient me gicler à la figure… Foutu, d'un seul coup, le long travail d'oubli que j'avais tenté d'entreprendre jusque là. Comme une évidence, j'en convenais sans résistance aucune.

- Au lieu de construire, tu te complets dans le passé, elle a gueulé en grimpant les derniers rochers qui menaient à la route.

- Je construis, j'ai ricané. C'est pas spectaculaire, mais je construit !…

- Avec moi ? !

- Bien sur !… Avec toi, avec Josi, au supermarché, au boulot… Depuis le départ de Za, je construis, c'était ça ou me foutre en l'air…

- Très bien ! Alors j'aimerai en voir la couleur !… Prouves-moi que quelque chose change en toi !

- Je pensais que tu pouvais être plus patiente… Et plus observatrice !

- Si Josi n'était pas avec nous, tu m'ignorerais… Heureusement qu'elle est là, ça fait illusion…

- Tu ne cherches pas vraiment à discuter non ?…

- Il y a des choses qui doivent être simples… Si être ensemble avec quelqu'un c'est devoir batailler tout le temps, je ne vois pas bien l'intérêt !

- Vu sous cet angle !… En fait, j'ai jamais pensé que la vie était un truc simple, il n'y a pas de raison pour qu'une relation, amoureuse ou autre, échappe à cette règle.

- Dan, je n'avais jamais pensé me prendre autant la tête avec un type ! Elle a ricané.

- Tu connaissais la situation lorsque l'on s'est rencontrés, j'ai noté.

- Désolée d'avoir eu un excès de confiance !

J'ai proposé à Marine d'aller manger un bout par-là mais elle a refusé, elle ne voulait pas risquer d'avoir le repas gâché, elle a préféré retourner à l'appartement. Josi est rentrée peu de temps après nous, ravie des achats qu'elle venait de faire. Marine l'a accompagnée dans la chambre, Josi voulait lui montrer les deux maillots et la robe qu'elle avait dénichée.

- On revient, on fait vite, a dit Josi.

- Prenez votre temps, j'ai répondu.

- Pour ce que l'on a à se dire ! A soufflé Marine en levant les yeux vers le ciel.

Za n'allait pas tarder à arriver, j'étais bien loin des préoccupations de Josi et de Marine. J'ai pensé que malgré la situation qui semblait fort défavorable, désespérée même, j'avais le droit de m'octroyer un petit plaisir, genre dernière volonté du condamné. Alors j'ai attrapé une bière dans le frigo pour en boire une gorgée fraîche, après quoi j'ai allumé une cigarette et tiré une bouffée dessus. Plaisir simple, parfaitement simple mais délicieux dans l'instant. J'entendais les rires des filles qui venaient du fond du couloir, j'étais vraiment seul à ruminer mon angoisse, à me demander encore s'il ne valait mieux pas que je prenne la voiture pour quitter cette ville et rentrer chez moi plutôt que de rester là à attendre Za. Car j'avais encore le choix, je le savais. Josi ne devait sans doute pas avoir songé à cette éventualité, pas plus que Marine… Imaginer que je puisse filer avant l'arrivée de Za semblait être pour elles une éventualité totalement improbable. Pourtant je m'étais posé la question et je me la posais encore, toujours incapable de décider entre la fuite et l'attente… Non !… J'avais décidé, car je ne pouvais me résoudre à ne pas attendre Za alors que l'on n'était plus qu'à quelques heures de se revoir. Je n'osais employer le mot retrouvailles. Toujours est-il que la venue de Za m'intriguait et me déchirait les tripes en mille morceaux. J'avais tant de fois espéré ce moment !

En fait, chacun a passé la journée à l'attendre, pour des raisons diverses, bien entendu.

                                                         *

On revenait d'aller boire un café, la journée avait été longue et pénible, le soleil commençait tout juste à faner au lointain.

Je l'ai de suite aperçue. Elle se tenait en bas de l'immeuble devant sa voiture. Mon cœur m'a semblé battre plus vite tout à coup. Elle avait raccourci ses cheveux, ça devait plaire à Paul, sans doute !… Un frisson m'a alors parcouru…

- Salut Za, tu dois être crevée, a dit Josi le plus naturellement du monde.

- Ca va !… A répondu Za en dévisageant Marine.

- Marine, une amie du boulot, a continué Josi pour faire les présentations.

- Bonjour, a acquiescé froidement Za.

- Bonjour. Je suis également la petite amie de Dan, a asséné Marine pour terminer les présentations.

Nous avons tous été surpris par la franchise de Marine ! Za a paru un peu déstabilisée mais elle a rapidement repris la situation en main.

- Vous avez tous des mines superbes, elle a enchaîné.

- Quelles facultés d'observation ! J'ai grincé.

- Bon, on ne va pas rester là. On va t'aider à monter tes affaires, a proposé Josiane.

Aussitôt arrivée à l'appartement, Za a filé dans la chambre qui lui était destinée avec Josi sur ses talons. Za voulait se changer, se mettre à l'aise et sans doute voulait-elle discuter tranquillement avec son amie. Marine est venue se serrer contre moi.

- Ca va aller … Je lui ai murmuré en l'embrassant.

Elles sont revenues de la chambre le sourire aux lèvres.

- On prépare le repas, elles ont annoncé en cœur.

Za avait passé une robe assez courte et claire qui mettait en valeur son bronzage. Za était toujours aussi belle, plus belle que dans mes souvenirs… Mais devais-je m'en étonner et en crever sur-le-champ ? !…

La soirée a traîné en longueur. J'attendais le moment où j'allais enfin pouvoir me retrouver seul avec Za et je comptais bien lui poser quelques questions…

Josi est partie se coucher après avoir tenté à plusieurs reprises de détendre l'atmosphère pesante qui s'était installée. Marine en a fait de même dans la minute.

- Ne tarde pas trop… Elle m'a averti avant de quitter la pièce.

- Le temps de finir mon verre…

- A demain, elle a lancé à Za en la foudroyant du regard.

Lorsque nous nous sommes enfin retrouvés seuls, je n'étais plus le même. Za ne disait rien, elle attendait, calmement, que j'ouvre les débats… J'ai senti alors une colère sourde m'envahir…

- Quelle délicatesse tu as eu de venir sans Paul ! J'ai balancé pour attaquer.

- Attends, c'est quoi ce plan que tu me fais ? !…

- Et bien fallait pas te gêner, un peu plus ou un peu moins...

- On n'est plus ensemble. Mais on peut aussi parler de cette fille, si tu veux !… Elle a dit en pointant son menton en direction des chambres.

- Tu manques pas d'air ! Ne mélanges pas tout, d'accord ? !… C'est bien toi qui souhaitais que je retrouve un jour le sourire, c'est bien la dernière chose que tu m'aies demandé avant de partir ?… Aujourd'hui ton souhait est exaucé ! J'ai faussement affirmé.

- Oui, peut-être… Dan, je ne savais plus où j'en étais, il fallait que je fasse le point et je ne voulais pas pour autant te savoir malheureux, c'est vrai. Mais permets-moi d'avoir été surprise quand j'ai appris que tu t'étais remis avec quelqu'un…

- Tu as une drôle de façon de faire le point… Dans les bras de Paul ! J'ai continué.

- Paul m'a proposé de venir m'installer chez lui, je ne savais pas où aller…

- Attends, tu me prends pour un imbécile ou bien tu es vraiment naïve !… Tu sais comment il fonctionne.  Il voulait juste te baiser, voilà tout ! Alors c'était plus facile en te proposant de venir passer quelques jours chez lui. Qu'est-ce qu'il en avait à foutre que tu sois mal ?… Et de voir notre couple qui venait d'éclater, quelle aubaine pour lui, l'occasion était trop belle pour qu'il n'en profite pas !

- C'est inutile que l'on continue à discuter, tu ne comprends décidément rien !

- C'est pas tant le fait que vous ayez baisé ensemble qui me fait mal…

- Moi je crois vraiment que tu bloques sur ça, elle m'a coupé.

- Tu sais, j'ai cru un moment pouvoir compter sur les amis, mais dans cette histoire, tout le monde m'a baladé… Tout le monde était au courant, au point que Josi a cru bon me présenter Marine pour me remonter le moral !

- Je n'avais rien dit en ce sens à Josi !…

- Possible…

- Tu reprends un verre avec moi ?

- Non, je vais me coucher, j'ai répondu.

J'ai ainsi laissé Za dans le salon et je suis allé me coucher dans le lit de Marine qui dormait déjà tandis que la femme de ma vie trinquait peut-être à nos retrouvailles.

Je me suis endormi, à demi conscient.

                                                             *

Je me suis réveillé le premier. Tout était calme, dedans, dehors. Le petit matin. Je me suis levé sans réveiller Marine et j'ai filé à la cuisine pour préparer du café. J'avais une drôle de sensation, j'étais balancé entre un truc qui ressemblait à la gueule de bois, style mauvais souvenirs de la veille, et l'euphorie grandiose d'avoir revu Za. La revoir, ça avait été violent, une agression après ces longs moi où je n'avais pu seulement m'imprégner de son souvenir.

Je ne savais plus !

Après avoir pris une douche froide, je me suis habillé et je me suis tiré prendre l'air. J'ai seulement laissé un mot sur la table de la cuisine : " Ne comptez pas sur moi aujourd'hui, je passe la journée dehors. A ce soir ". Je n'avais plus la force de faire le bilan pour les autres, j'avais mon compte !

J'ai longé la plage de longues minutes. Le soleil manquait encore de forces, mais la journée promettait d'être belle… Les thermomètres tireraient rapidement la langue pour afficher des températures records… On n'avait pas vu un nuage s'aventurer dans le ciel depuis plusieurs jours.

Tandis que je marchais, j'ai repensé à Za.

Notre rencontre, le premier jour de l'été. Un coup de foudre, réciproque m'avait-elle dit par la suite. Le premier baiser échangé, une complicité forte et immédiate, évidente. Nos premières vacances ensemble. Des journées à se promener et à discuter longuement. Des nuits banches passées à discuter encore. La ville nous appartenait. Les rues, les terrasses de cafés ou de restaurants, les parcs, les jardins, les chambres d'hôtels qui nous servaient de nids douillets et qui avaient toutes ce même parfum d'amour… Coupés du monde, amoureux, insouciants, le bonheur… Le ciel bleu dans lequel venait gicler le soleil, le ciel rosé dans le petit matin d'où s'élevaient les champs d'oiseaux perchés en haut des arbres, le long du canal… La ville nous appartenait… Merveilleux sentiments qui recouvraient tout d'un doux voile et transformaient en certitudes la plus infime pensée… Oui, l'évidence que nous resterions ensemble pour la vie coulait en nous, et échangeant nos projets futurs avec une assurance folle, nous nous nourrissions seulement et simplement de notre amour. Seulement l'envie d'être ensemble… Oui, on bouffait la vie…

J'ai finalement décidé d'aller faire un tour sur la basse corniche, en voiture. Toutes vitres baissées, l'air chaud venaient courir sur mon visage par moments, plus bas je voyais la mer, l'eau claire et parfaitement transparente le long des rochers et un bleu sombre au loin qui tranchait plus ou moins nettement la ligne d'horizon.

Lorsque nous étions en vacances dans le coin avec Za, nous aimions venir passer des journées entières dans une des nombreuses criques qui nichaient le long du littoral. Un jour où nous étions assez isolés dans l'une d'entre elles, Za avait enlevé son maillot et elle était allée se baigner, à poil et à la vue d'autres baigneurs installés plusieurs mètres plus loin, je l'avais regardé rentrer dans l'eau, terriblement excité. Plus tard et à sa demande, je l'avais branlée longuement, une baigneuse venue faire quelques brasses avait aperçu notre manège mais Za m'avait prié de continuer à lui donner du plaisir… Za savait être parfaitement garce à certains moments, elle savait que j'aimais ça et en jouait à merveille.

La route était étroite et sinueuse. Je me vautrais comme un mort de faim dans les méandres de mes pensées. Je ne voulais plus quitter Za, je l'avais prise avec moi, de force, et je faisais la route avec elle, comme avant. Avant qu'elle ne décide de me quitter, avant qu'elle ne décide de foutre en l'air tout ce que nous avions construit ensemble.

J'ai fait une halte dans un petit café coincé sous les rochers, dans un tournant. Les filles étaient peut-être levées à présent. J'étais seul comme un con !… Seul avec cette putain de rengaine dans le crane, Za !

Le soleil s'élevait dans le ciel comme un sabre luisant, heureusement qu'il y avait la mer dans ce pays, sans quoi la folie aurait pu gagner jusqu'au dernier vivant sur cette terre aride. La mer, promesse extraordinaire de fraîcheur, un truc qui apaisait les esprits et donnait du courage, agissant comme un coupe feu face à cette chaleur brûlante.

J'ai senti des goûtes filer le long de mes tempes, je ne connaissais plus le bonheur depuis plusieurs mois, forcément, ça n'aidait pas !… Ne plus arriver à profiter de l'été, le subir, le combattre, je n'avais jamais imaginé que cela puisse m'arriver… J'ai regardé un couple qui venait de s'installer à la table d'à coté, il souriaient, heureux… Il y avait un tel décalage entre ce qu'ils vivaient et les sentiments noirs qui m'encombraient l'esprit !… Pourtant je me souvenais avoir été quelqu'un capable d'aimer la vie, d'en jouir et d'en redemander encore… Où était passée cette personne ? !… Pouvais-je espérer un jour recroiser sa route ?… Ou bien devais-je définitivement faire le deuil de cet enthousiasme révolu ?…

J'ai commandé un autre café pour accompagner une nouvelle cigarette que j'ai tirée du paquet blanc posé devant moi.

Des voitures, immatriculées aux quatre coins de l'Europe, faisaient comme un défilé joyeux sous mes yeux. Je n'en pouvais plus, moi, de ce putain d'été ! Tandis que des milliers de touristes devaient s'étaler sur les plages avec délectation ou bien se promener distraitement ça et là, je restais planté dans mon mal-être, perdu au fond de moi. Il fallait que je rentre à l'appartement, il fallait que je me raccroche à quelque chose, certes de totalement incertain, mais à quelque chose !

La discussion de la veille avec Za m'est revenue à la figure comme un boomerang tandis que je grimpais dans la voiture. J'ai mis le contact, anxieux et désespéré.

Vitres fermées, climatisation au maximum. Radio éteinte. Comme protégé de tout pour quelques minutes encore !

                                                            *

Dans la cage d'escalier, j'ai reconnu l'odeur. A coup sûr Za avait préparé un plat dont elle avait le secret, elle cuisinait sacrément bien, encore un truc qu'elle continuait de faire loin de moi, comme rire, s'amuser… Terrible constat !

- Putain c'est pas vrai, je rêve ! J'ai dit rageusement en ouvrant la porte.

Je suis allé directement au salon. Ils étaient tous là, visiblement un peu crispés de me voir. Ils ont adopté une mine plus grave, genre ne t'en fais pas on sait que ça ne doit pas être facile pour toi de voir ce tableau !

- Tiens, quelle surprise !… Ca fait plaisir de revoir un ami, j'ai lancé à Paul.

- Attends Dan, il faut qu'on s'explique, je ne suis pas un salaud comme tu peux le croire…

- Houai, appelles ça comme tu veux, c'est pas important. Ce que je vois, c'est que t'es pas très net dans cette histoire. T'imaginais peut-être que ça me ferais plaisir d'apprendre que tu te tapais Za !…

- Eh Dan ! Ca suffit ! M'a coupé Za..

Sans faire attention à ce qu'elle venait de dire, j'ai continué.

- Effectivement, c'est une façon assez spéciale d'envisager l'amitié. Crois-moi Paul, je suis tombé de haut !

- Za m'a dit que c'était terminé vous deux, je vois pas en quoi je t'ai trahi ? !… Il a avancé merdeusement.

- Des amis comme toi, ça fait du bien de les savoir le plus loin possible, là où l'on est sûr de ne plus jamais les croiser. J'aurais aimé plus de sincérité de ta part… T'en aura mis du temps avant de me dire ce qu'il en était… Puisque tu ne voyais rien de mal là dedans, pourquoi m'avoir menti le soir où nous sommes allés chez Josi ?… Le mensonge, c'est vraiment la dernière chose dont j'avais besoin. T'es vraiment au-dessous de tout ! J'ai fini.

- Bon, maintenant que tu as terminé, on pourrait peut-être passer à table… A annoncé Za.

- Ecoutez, si personne n'y met du sien… A rajouté Josi, découragée et la mine défaite.

- D'accord, je suis prêt à faire un effort, pour Marine et pour toi… Au fait, tout le monde est là ou il y a encore des invités surprise à venir ?

- … Mais bon sang, comment pouvez-vous débarquer ici et penser qu'il ne va pas y avoir de casse ? A crié Marine. C'est ahurissant d'être aussi égoïstes !…

- Marine, les amis, on continuera à les voir, et si on est là, c'est pour voir Josiane… J'imaginais bien que ce ne serait pas simple étant donné la présence de Dan, j'espérais simplement que ça se passerait mieux, sincèrement !… Lui a dit calmement Za.

- Tu peux bien imaginer que ce n'est pas en revenant maintenant que ça va arranger la situation… A expliqué Marine.

- De quel droit me juges-tu ? S'est énervée Za. Tu crois peut-être connaître Dan… Qu'est-ce que tu as vécu avec lui ? !… Dan, c'est pas le type que j'ai en face, crois-moi !

- J'imagine ! A ricané Marine…

Je ne savais pas si Marine se battait pour moi, enfin, pour nous ou bien pour elle, toujours est-il qu'entre Za et elle, ça faisait de sacrées étincelles.

- Paul repart tout à l'heure, on pourrait peut-être faire un effort, non ? A suggéré Josi.

- C'est une bonne nouvelle, j'ai reconnu.

Josi, impuissante, était spectatrice de tout ce désordre moral et regardait ses quatre amis sombrer dans une situation qui n'annonçait rien de bon. Je l'ai regardée d'un air désolé, mais sauver les apparences était au dessus de mes forces… Après tout, j'étais en train de jouer ma vie !…

Za s'est levée, Paul l'a suivie. Ils se sont absentés un moment, puis quand ils sont revenus, Paul a annoncé :

- Rester ici ne peut que compliquer davantage les choses. je vais retrouver Pierre, Brigitte et Chloé, je leur avais promis de passer les voir…

- Vraiment, c'est une excellente idée !… Et puis c'est une bonne occasion pour revoir Chloé. Tu t'es souvent demandé comment elle baisait !… T'arriveras peut-être à avoir la réponse, qui sait ?… Saches que je te pardonnerai jamais d 'avoir eu cette même attitude avec Za ! Mais bon, c'est souvent plus facile d'allumer les copines des amis… On risque pas grand chose, et puis un jour ça peut marcher !... Je lui ai jeté à la figure. En ce qui concerne Za, laisses les problèmes derrière toi, sois égoïste, c'est ce que tu sais encore le mieux faire !

- Avec Za, je pensais que ce serait différent… Il s'est défendu.

- Mais est-ce que tu as eu une attitude différente avec elle ?… Tu as simplement profité de la confiance qu'elle te portait, voilà tout !… A présent, s'il te reste un peu de fierté, ne reste pas ici plus longtemps !… Je lui ai balancé.

J'ai terminé mon verre, Paul le sien puis il a disparu, sans même être capable de serrer Za dans ses bras. Il devait déjà penser à Chloé, je le connaissais trop bien pour ne pas me tromper sur son compte. Za lui a quand même fait un signe de la main avant qu'il ne s'engouffre sur l'avenue du Bord de mer.

C'est certain, ce petit vent de folie qui venait de souffler quelques étages plus hauts et qui avait pris fin avec le départ de Paul semblait avoir définitivement figé cette fin de journée en un truc pas très réjouissant. J'ai jeté un œil vers Za, j'ai été surpris de la voir se retourner vers nous le sourire aux lèvres.

- Bon, on reste là ou quoi ? Elle nous a questionnés.

- Paul est une grande gueule mais il assume que dalle, a tranché Josi. Maintenant, j'ai faim, elle a rigolé… On va se régaler avec ce que tu as préparé, elle a dit à Za.

C'est vrai que la seule chose que l'on avait oublié en discutant, c'était de penser à manger.

- Désolée, j'ai encore un nœud là, a dit Marine en tordant un doigt sur son ventre… Ne vous en faites pas, la bonne humeur générale va finir par me gagner, elle a grincé … Maintenant que Paul est parti ! Elle a conclu en me fusillant du regard.

Tandis que Josi introduisait la clé dans la serrure, j'ai senti une drôle d'odeur venir de sous la porte.

- Merde ! Ont crié en cœur Za et Josi. Elles ont foncé dans la cuisine. Merde ! Elles ont confirmé en cœur.

Alors que je pénétrais à mon tour dans la cuisine, il n'y avait plus de doutes à avoir quant à la nature de l'odeur. Cramé, le délicieux plat de Za !… Je me suis penché sur la cocotte en fonte et j'ai vu un machin noir au fond. Notre repas ! !

- Putain ! Fait chier ! A éructé Za.

- Salade ? A proposé Josi.

- Parfait, aucun risque que ça crame ! A répondu Za avant d'éclater de rire avec Josi. Je t'assure, ce plat aurait été excellent ! Elle a continué en riant de plus belle.

- Vous aimez les pommes dans la salade ? A demandé Marine.

- J'adore, a répondu Za.

Malgré la réponse positive de Za, J'ai constaté que Marine faisait toujours la gueule et que Za gardait ce même sourire accroché au visage. J'ai préféré rester un peu en retrait… Voir Za visiblement heureuse et l'entendre rire était un truc nouveau et pénible. En effet depuis son arrivée, elle n'avait pas paru aussi détendue. J'aurais aimé connaître les raisons qui l'avaient amené à changer ainsi d'attitude.

Marine est arrivée comme un ouragan dans la salle à manger et au passage elle a agrippé mon bras et elle m'a entraîné à la suivre sur la terrasse.

- Elle est vachement joyeuse, Za… Tu vois, on dirait qu'elle est heureuse que son aventure avec Paul soit terminée et de se retrouver avec son mec…

- Pardon ? !

- Enfin, son ex, toi quoi !… S'il te plait, ne me prends pas toi aussi pour une conne !

- Je te prendrais pour une conne si j'avais la même analyse que toi à propos de Za… Franchement, c'est pas le cas.

- Ah ! Bon ? !… Et c'était quoi, ton analyse ?…

- J'ai simplement constaté… Constaté effectivement un changement dans son comportement… Rien de plus… Enfin, avant que tu me fasses part de ton analyse…

- Justement, tu en penses quoi, de mon analyse ?

- J'essais de ne plus penser à ce genre de choses…

- Tu devrais ! ! Elle a dit sèchement.

- T'es pénible, vraiment Marine, t'es pénible !

- Et toi… Pff ! Elle a soufflé avant de repartir à la cuisine.

J'ai attrapé la bouteille et je me suis servi un whisky bien dosé… J'ai bu une gorgée et j'ai repensé alors à ce que m'avait raconté Marine au sujet de Za. Disait-elle vrai que mon cœur explosait dans ma poitrine ! Non, je n'étais pas encore guéri de ma rupture… Ou bien plutôt devais-je reconnaître que j'aimais toujours Za… Follement !

Les filles sont venues me rejoindre. Marine affichait à leur coté un sourire forcé qui ne la mettait pas vraiment en valeur.

- Il n'y a plus qu'à se mettre à table, a dit Josi.

- Tu bois encore ? M'a lancé Marine.

- Un mauvais réflexe, j'ai reconnu.

- Tu ferais mieux de rester lucide ! Elle a asséné.

- Arrêtes, s'il te plait, je lui ai demandé posément.

- Le mot est juste ! Elle s'est énervée.

J'ai passé une main autour de son coup et à l'oreille, je lui ai dit :

- Lorsqu'on est sur le même bateau et qu'il y a un avis de tempête, il me semble qu'il vaut mieux se serrer les coudes, non ?

Elle s'est brusquement écartée de moi.

- Oui, quand on est sur le même bateau !

Za se passait la main dans les cheveux, Josi faisait mine de remettre en place une fourchette mal placée.

- Ma parole, on dirait un vieux couple ! A dit Za avec sarcasme.

- Arrêtes tes conneries, j'ai répondu.

- Ca t'embêtes ? A ajouté Marine.

- Non, j'ai faim, a dit Za.

                                                           *

L'après-midi qui a suivi n'a pas été une franche réussite. Josi et Za ont fait un scrabble. A la deuxième partie, elles ont réussi à convaincre Marine de se joindre à elle. Allongé sur le canapé, j'ai lu un bouquin, en essayant de me concentrer sur chaque phrase autant que je le pouvais. Par moment, je ne pouvais m'empêcher de lancer un regard vers elles. Josi, l'ami qui m'avait quelque peu trahi à mes yeux. Marine, la fille avec qui je dormais, franchement c'était le seul point commun que je nous trouvais, dormir dans le même lit… Et Za, la femme de me vie qui m'avait quitté. Le tableau n'était pas enthousiasment, mais ma vie pouvait alors se résumer à ce triste constat !

- Tu fais une partie avec nous ? A demandé Josi.

- Merci, je préfère lire.

J'ai replongé les yeux dans mon bouquin.

- Et si ce soir nous allions manger au restaurant ? A proposé Za avec une mine réjouie.

- Excellente idée, a reconnu Josi.

- Oui, une virée entre potes  ! A sifflé Marine.

- Ca permettrait peut-être de terminer la journée sur une bonne note, a avancé Josi avec une certaine fatalité.

- Ca ne devrait pas être difficile ! A balancé Marine. Enfin, normalement ! !

- Au bout de la jetée il y a un restaurant qui fait des plateaux de fruits de mer, j'ai proposé.

- D'accord, a tranché Za en me lançant un regard ambigu.

- Faites-vous tous les deux le programme ! A aboyé Marine.

- Simple proposition, j'ai répondu.

- Scrabble ! A dit Za.

Le soleil avait commencé à faiblir, je suis sorti sur la terrasse fumer une cigarette.

- 84 points, j'ai entendu dans mon dos.

- Et merde ! A lancé Marine.

                                                          *

Bizarrement nous avons pris l'apéritif dans un climat de paix, c'était agréable de souffler un peu, il valait mieux en profiter… On n'a pas hésité à se resservir quelques verres, on commençait à rire pour un rien, et si quelqu'un s'était invité à ce moment là, il aurait juré que c'était juste une soirée entre amis qui s'annonçait plutôt bien…

Toujours est-il que nous étions un peu allumés quand nous avons débarqué au restaurant. Alors que nous attendions debout que quelqu'un vienne s'occuper de nous, j'ai senti Za se serrer contre moi, mais je n'avais pas envie d'analyser, peut-être après tout que c'était involontaire de sa part…

On a continué sur le même ton enjoué durant tout le repas, n'hésitant pas à venir à bout de trois bouteilles de vin. Le plateau de mer était excellent, le cadre était vraiment sympa, il y avait deux gros aquariums au milieu de la salle.

En sortant, on a traîné un peu le long de la plage. Il était tard mais nous n'avions pas envie de rentrer, il y a des soirs comme ça où l'on trouverait mille raisons pour prolonger une soirée.

- Et si on prenait un bain de minuit ? A lancé Za.

- Pourquoi pas, a dit Josiane, ça nous aidera toujours a nous éclaircir les idées, parce que je ne sais pas vous, mais moi l'alcool me tourne un peu la tête.

- Ca peut être sympa, a acquiescé Marine.

- Je suis partant, mais faudra pas se débiner, tout le monde devra aller à l'eau, j'ai prévenu.

On s'amusait déjà de notre décision tandis que l'on posait les pieds sur la plage. C'est sûr on n'avait pas pris de serviettes, forcément, mais on prendrait le temps de sécher en sortant de l'eau. C'était une plage de galets, ça faciliterait notre affaire.

Josiane, la première, s'est mise en sous-vêtements et a dit, nous défiant du regard en souriant :

- Allez, tout le monde à l'eau !

Sans attendre et montrant l'exemple, elle a couru jusqu'aux premières vagues.

- Je vous attends ! Elle a crié.

Marine l'a suivie sans attendre.

- Allez ! Elle nous a lancé en rigolant, à Za et à moi.

Je l'ai regardé s'éloigner, comme soulagé. J'étais seul avec Za.

Une fois en sous-vêtements, Za m'a envoyé un regard coquin.

- C'est à poil, non, un bain de minuit ?

Elle a alors décroché son soutien gorge puis elle a fait glisser sa culotte le long de ses cuisses. J'ai redécouvert ce corps que je connaissais pourtant parfaitement. J'étais troublé, affolé par la nudité de Za. Elle restait là, à poil devant moi, m'attendant. La lune, impudique, baignait la plage de délicats reflets, Za avait le maillot sacrément épilé, elle n'avait laissé qu'une fine bande de poils en haut de ses cuisses.

- Ca ta plait ? Elle m'a demandé, carrément garce.

Je me suis gratté la tête.

- Houai !… C'est un délicieux supplice…

J'ai baissé mon caleçon, Za a porté son regard sur mon sexe en érection.

- Vite, à l'eau, elle m'a dit en souriant.

Elle est partie devant moi, j'ai regardé ses hanches, ses fesses superbes. Je lui en voulais de se mettre à poil devant moi, de raviver si crûment des sentiments communs, une complicité commune à laquelle elle avait souhaité mettre un terme quelques mois plus tôt. Pourtant, pour rien au monde, je n'aurai voulu qu'elle remette ses sous-vêtements !… Elle pouvait me tuer si elle le souhaitait, je restais consentant ! C'était terrible ! !… Pour la première fois depuis son départ, j'ai ressenti quelque à nouveau une attirance sexuelle pour Za. Car jusque là, ce genre de sentiments réducteurs ne m'avaient pas encombrés l'esprit !…

Josi et Marine faisaient quelques brasses lorsque nous sommes entrés à notre tour dans l'eau. Une chance…

Nous nous sommes ensuite amusés quelques minutes, se poussant, s'éclaboussant, sautant dans les vagues, c'était parfait d'avoir cette mer pour nous seuls, on en profitait comme des gosses. J'ai simplement pris garde à ne pas frôler le corps de Za.

Lorsque nous sommes sortis de l'eau, j'ai de suite remarqué la gène de Marine en voyant Za à poil.

- Tu aurais pu garder ton caleçon ! Elle m'adit.

Je n'ai pas relevé et je suis allé m'asseoir.

- Ca va ?! Pas trop froid ?! Elle a demandé à Za en ricanant.

Za était encore debout devant nous, secouant la tête pour sécher un peu ses cheveux, exposant franchement et sans gène sa nudité. Elle s'est ensuite penchée pour attraper une cigarette dans son sac.

- J'adore les bains de minuit, elle a répondu, parfaitement détendue… Je sais que Dan aussi aime ça…

- Merci pour les commentaires, a aboyé Marine.

- On a plutôt bien commencé la soirée, on pourrait essayer de bien la terminer, a suggéré Josi.

Marine a eu un sourire forcé et a semblé accepter la suggestion de son amie.

Nous avons pris le temps de sécher, de fumer quelques cigarettes tout en discutant tranquillement, abordant des sujets légers. Mais mon esprit restait figé devant le corps de Za nu.

Za savait parfaitement le plaisir qu'elle éveillait chez moi. En me lançant un regard entendu, elle a remonté ses genoux sous son menton, offrant ainsi son sexe à ma vue…

Alors que nous nous apprêtions à remettre nos vêtements, elle est venue se coller contre moi, m'a posé sa main sur les fesses et m'a lancé :

- C'était très agréable… 

- Pas seulement ! J'ai répondu douloureusement.

Marine, qui était à côté de nous, a dit à Za en la dévisageant, sur le ton faux de la plaisanterie :

- Tu n'es pas obligée de lui mettre la main sur les fesses pour lui demander ça !

- Ecoute, il n'y a rien de mal, on se connaît assez, tu ne crois pas ? ! Lui a répondu Za, faussement amicale à son tour.

- Bon, vous venez ?… On prendra le digestif à la maison, ça va nous réchauffer, a coupé Josiane.

L'alcool faisait encore son effet, et c'est joyeusement que nous sommes rentrés. Josi a emmené les bouteilles les bouteilles sur la table, on a replongé pour quelques verres.

Tard dans la nuit, Josi nous a dit qu'elle n'en pouvait plus, il fallait qu'elle aille se jeter sur le lit, qu'elle dorme. Nous nous sommes donc retrouvés tous les trois. Za a demandé à Marine comment allait son boulot. Elle lui a répondu que sa mutation n'était plus à l'ordre du jour, et comme elle avait obtenu la promotion qu'elle attendait, tout allait parfaitement bien. Elle a rajouté :

- Et puis tu sais, depuis que je suis avec Dan, le boulot est passé un peu au second plan…

- C'est préférable… La réussite professionnelle n'a jamais été l'objectif prioritaire de Dan ! A asséné Za.

- C'est sur, j'ai acquiescé.

- Enfin, c'est gentil de s'intéresser à mon boulot, elle a dit à Za.

- Il faut bien parler de quelque chose !… Je sais la façon dont s'investi Josi dans son boulot, et comme tu bosses avec elle…

- L'important à présent, c'est Dan, elle a envoyé en défiant Za du regard.

- Ne regrettes rien pour moi, je lui ai dit… Ne fais pas de choix que tu pourrais regretter.

- C'est mon problème ! Elle a dit sèchement.

- Effectivement ! J'ai reconnu.

Za a rempli une nouvelle fois son verre et a proposé de remplir le mien, j'ai accepté. Marine a refusé, elle est partie se coucher.

- Au fond, je n'arrive pas à savoir qui tu es, elle a lancé froidement à Za. Une fille bien ou une vraie salope !

- Les deux ne sont pas forcément antinomique, elle a répondu calmement… Je ne remets pas en cause tes compétences professionnelles mais visiblement, tu connais mal les hommes !

- Je t'attends, m'a dit Marine en tournant les tallons… Ouvre les yeux ! Elle a ajouté.

- Bonne nuit, j'ai répondu.

- T'es pitoyable ! Tu ferais mieux de venir dormir !

- Je me trompe ou c'est une déclaration d'amour ? J'ai ricané.

Marine a disparu au fond du couloir, j'ai invité Za à sortir un moment prendre l'air sur la terrasse.

La nuit était claire, j'ai bu une gorgée.

- Tu joues à quoi ? Je l'ai interrogée.

- J'ai l'impression de nous retrouver au début, lorsque nous nous sommes rencontrés, elle a répondu.

- C'est toi qui es partie…

- C'est toujours celui qui aime le plus qui quitte l'autre… Celui qui n'accepte plus que la situation se dégrade… Celui qui n'accepte plus de voir s'effilocher le couple…

- Tu as le droit de penser ça !

- Même lorsque je suis partie, je savais que c'était avec toi que je voulais vivre, je savais que jamais je ne pourrais aimer plus fort une autre personne dans ma vie, retrouver une telle complicité…

- Il fallait y penser avant, j'ai dit avec une fierté de merde.

- J'ai toujours été sincère avec toi… Je ne voulais pas que notre relation devienne médiocre...

- Elle l'est sacrément devenue, non ? !

- Non ! Tout à l'heure, sur la plage, j'ai compris qu'il n'y avait rein d'abîmé entre nous…

- C'est pas en agissant comme ce soir que tu me prouves que tu me respectes…

- Pour moi, aimer c'est respecter… Et ce soir j'ai fait ça parce que je t'aime… Et parce que j'ai eu l'impression que c'était partagé…

Alors elle s'est avancée vers moi et a posé sa main sur ma braguette, m'empoignant le sexe à travers la toile du jean.

- Prends-moi ! Elle a haleté. J'ai très envie de toi !…

- Arrêtes, je lui ai répondu en repoussant sa main, avec la lucidité forcenée qu'il me restait encore.

Elle s'est écartée de moi.

- Tu as le droit de me faire payer… C'est bien fait pour ma gueule !

- Za !…

- Bonne nuit, elle a dit.

D'un coup j'ai trouvé la nuit moins douce, la lune moins claire, les étoiles moins nombreuses, l'horizon moins net. Si j'avais pu penser à ce moment là certaines fois, si j'avais pu avoir parfois l'envie de faire goûter un peu de ma souffrance à Za, ma victoire avait pour le coup un bien sale goût !… Quelle victoire, d'ailleurs ?! 

Putain d'humains que nous sommes ! !

J'ai vidé mon verre et je suis parti dans la chambre m'allonger sur le lit aux cotés de Marine. M'allonger seulement, m'allonger douloureusement car je savais que le sommeil ne viendrait pas… Za allait-elle accepter mon refus tandis que j'avais plus que jamais l'envie de la serrer de lui dire que je l'aimais ? !…

Dans son sommeil, Marine s'est tournée vers moi, je me suis écarté d'elle et j'ai continué ma nuit, éveillé jusqu'au petit matin.

                                                              *

- Za est partie, m'a dit Josi lorsque je me suis levé le lendemain.

- Normal ! J'ai répondu. Il y a du café ?

- Oui, elle a dit en pointant son menton vers la cafetière. Tu veux discuter ?

- Non…

- Za m'a dit de te donner le numéro de téléphone de son portable, elle t'attend…

- Quel con !

- A toi d'y voir clair…

- Za et moi c'est un truc tellement spécial ! …

Je me suis alors retourné vers la terrasse et j'ai laissé filer un putain de sourire qui m'a irradié le corps tout entier… Une joie violente dans l'instant. Comme si tout avait explosé soudainement et me laissait enfin en pleine lumière !

- Si tu dois parler à Marine, fais-le rapidement, a continué Josi en m'arrachant à mes pensées.

- Arrêtes de vouloir tout contrôler… Si Marine devait changer d'attitude vis à vis de toi à cause de cette histoire, c'est que tu ne l'intéressais pas beaucoup… Sinon, cela ne changera rien à votre relation…

- Marine va devenir ma supérieure hiérarchique…

- Désolé !… Ce n'est pas moi qui décide des promotions dans ta boite… Tu crois pas qu'elle est assez professionnelle pour ne pas tout mélanger ?

- Si, si…

J'ai regardé Josi et je l'ai trouvé quelque peu pitoyable. Elle semblait ne plus trop savoir quoi penser, être heureuse pour moi ou bien inquiète pour Marine, pour elle en fait !… Au fond, peut-être nous en voulait-elle un peu à tous, à Za, à Marine, à moi ?… A nous qui étions en train de lui empoisonner l'existence ?… Josi et son âme d'enfant, incapable d'imaginer que les rapports humains puissent être parfois compliqués !…

J'ai bu une tasse de café et j'ai allumé une cigarette, j'étais pressé de parler à Marine pour enfin changer d'air. Fuir les reproches déguisés de Josi et peut-être la colère de Marine… Surtout pressé d'avoir Za au téléphone et de courir la retrouver !… J'ai regardé la pendule de la cuisine, les minutes s'égrainaient lentement et Marine dormait toujours.

- Je file me doucher, je n'ai plus de cigarettes, je vais descendre en acheter.

- Ne t'en fais pas trop, je crois pas que l'on s'arrache les yeux avec Marine, j'ai grincé. Mais bon, je comprends que tu préfères ne pas être ici pour entendre ce que l'on a à se dire.

J'ai regardé fixement l'horizon, Josi a quitté la pièce. Un autre café, une autre cigarette, le soleil qui montait au fond de la baie, le bruit d'une porte.

Marine a débarqué dans l'instant dans la cuisine, avec la mine des mauvais jours.

- Josi m'a dit que tu voulais me parler ! Elle a aboyé.

- Je croyais qu'elle se douchait…

J'ai pensé à Za, j'étais déjà loin…

- A tout à l'heure, a dit Josi en passant furtivement devant la porte de la cuisine.

Marine m'a alors défié du regard avec un sourire narquois.

- Donc tu veux me parler ? !

- Effectivement… Tu sais, je ne t'ai jamais baladée, tu savais depuis le jour où l'on s'est rencontrés que Za comptait encore beaucoup pour moi…

- Si tu aimes que l'on te prenne pour un con ! Elle a lancé.

- Bref, toujours est-il que ça n'a jamais été vraiment ça, toi et moi… Certainement à cause de moi, mais bon…

- Je n'ai jamais été réellement amoureuse, de toi ou d'autres hommes d'ailleurs… En tout cas, pas amoureuse comme je l'imagine… J'aime mon indépendance, j'aime surtout ne dépendre de personne… Et vivre en couple est une dépendance… Bizarrement je me sens plus forte seule qu'en couple…

- Pour moi le couple c'est plutôt un échange, le respect de l'autre, de ce qu'il est… Pour moi le couple n'est pas une entrave… Etre en couple c'est faire preuve d'écoute, de générosité…

- Dans ce cas, c'est sûr, on était loin du compte !

- Le couple devient une évidence seulement le jour où l'on rencontre la bonne personne… Et un jour j'ai rencontré Za, tu comprends ?

- Ah ! Bon ! Elle te respecte ? !

- Oui… Marine, je vais partir rejoindre Za, elle m'attend.

- Parfait !… Tu sais, finalement, on n'aurait pas baisé ensemble, on n'aurait pas eu grand chose à échanger tous les deux !

- C'est bien ce que je pense !

- J'aimais baiser avec toi… Ca a créé une illusion dans mon esprit… Heureusement on n'a pas continué sur ce terrain là, partager le lit simplement pour dormir, ça m'a permis de voir les choses autrement…

- Tu n'aurais eu aucun intérêt à rester avec moi, il y aurait toujours eu Za entre nous…

- Je l'avais bien compris…

- Je vais aller ranger mes affaires, je partirai dès que Josi sera rentrée.

- Dan, je te déteste !

- Non, pour détester quelqu'un, il faut d'abord l'aimer !

- Je t'ai aimé, elle a lâché.

J'ai terminé ma quatrième tasse de café, j'ai écrasé la cigarette dans le cendrier rouge et je suis parti me préparer, d'abord prendre une bonne douche, puis m'habiller et faire mon sac. Depuis le moment où Josi m'avait dit pour Za, je n'étais plus seul, je m'activais avec Za à mes cotés, je revivais avec Za à mes cotés.

Josi a fini par revenir, je l'ai embrassé, j'ai embrassé Marine et j'ai déguerpi de ce putain d'appartement de fortune, refuge de mon mal être, souvenirs désorganisés, j'avais l'impression d'avoir vécu là une éternité !…

                                                           *

L'été était tout à coup merveilleux… Dans l'attente de ces deuxièmes vraies retrouvailles avec Za, je me sentais tellement léger, tellement heureux, après ces mois de sursis, je vivais de nouveau… Je laissais remonter en moi des effluves de bonheur enfoui, des vagues successives qui semblaient laver mon esprit de toute cette douleur devenue familière au fil des mois, donc acceptable… Le renoncement dont je m'étais nourri et repu depuis le départ de Za, derrière, loin derrière… Oui, un vrai raz-de-marée de bonheur… Je retrouvais le goût des étés partagés avec Za, les odeurs, les couleurs… C'était donc ça la vie, la vie que j'avais rejeté au plus profond de moi avec un tel fatalisme !

J'ai couru dans un magasin de téléphonie pour acheter un téléphone portable, un coffret, un truc rapidement fonctionnel, le type m'a assuré que l'ouverture de la ligne était immédiate, je lui ai sourit béatement.

L'autoroute était dégagée, j'avançais à bonne allure vers Za. Tout à coup j'ai gambergé, douté. Affolé, j'ai stoppé sur la première aire de repos qui se présentait. J'ai attrapé fébrilement mon téléphone, et j'ai appelé Za. Je sentais subitement le sang me brûler les veines, le souffle court. J'ai entendu la première sonnerie, puis j'ai entendu sa voix et tout est rentré dans l'ordre.

- Za, c'est Dan.

- J'attendais ton appel…

- On est vendredi, qu'est-ce que tu dirais si on passait le week-end ensemble, dans un hôtel sympa et tranquille ?

- Tu as une adresse ?

- J'en ai une. J'avais relevé ça dans un bouquin, on s'est quittés, j'avais laissé l'adresse dans la boite à gants…

- Tu téléphones ?

- De suite, et je te rappèle.

- Dan ?

- Oui ?

- Je t'aime follement !

- Moi aussi !

J'ai raccroché et j'ai reniflé à pleines narines l'odeur des pains. Ici, la brise marine ne ventilait plus l'air étouffant, les cigales s'en donnaient à cœur joie. Peu importe, j'étais parfaitement bien !

Le type a été parfait. Il ne restait qu'une chambre, il acceptait de nous la réserver, je l'ai assuré que je serais là dans moins de deux heures, si non il pouvait annuler la réservation.

J'ai rappelé Za, elle était heureuse, elle en avait pour une heure et demi de route, elle faisait sa valise et elle partait.

J'ai repris la route avec une ardeur insoupçonnée. J'ai augmenté le volume de la radio avant de doubler un camion espagnol qui fumait comme une usine.

C'était bien indiqué et je n'ai pas eu à tourner longtemps pour trouver. C'était un hôtel assez banal, du moins extérieurement. D'un coté un grand parking aux places réservées, de l'autre une promenade qui menait au port, c'était indiqué sur le panneau.

Une fois dans la chambre, il en était autrement. Du petit balcon, on donnait directement sur une piscine intérieure entourée d'un patio, un truc vraiment joli, baigné par le soleil. Le regard que l'on peut porter sur ce qui nous entoure dépend tellement de l'état d'esprit que l'on y associe… Cet hôtel que je trouvais déjà parfaitement romantique n'aurait été qu'un nouveau coup de poignard quelques jours plus tôt… Sans Za, avec Za, c'était autre chose, une autre vie…

Mon téléphone a sonné.

- Je longe le port, tu peux m'indiquer ? Elle a dit.

Je l'ai alors guidée vers moi, à travers les rues, les places. Enfin elle était là, je suis descendu la rejoindre, un bonheur violent… Ma Za, comme une évidence, nous nous étions enfin retrouvés !…

                                                             *

Une fille jeune et bronzée a porté un cola light limon et une bière fraîche. Za avait juste pris le temps de monter son sac dans la chambre avant que l'on ne vienne s'installer sur les transats au bord de la piscine.

- Ce n'est pas le bonheur, ça ? Elle a dit avec son plus beau sourire.

- Sûr !

- Tu sais, je ne t'ai pas quitté pour trouver un autre type, je savais que je n'aurais pas trouvé mieux que toi…

- Je n'avais pas davantage d'espoir, j'ai rigolé…

- Avec toi je me sens libre et aimée… Et puis qui pourrait poser sur moi un regard aussi bien veillant que le tient ?

- Je ne serais pas là aujourd'hui si je n'étais pas convaincu que tu es quelqu'un de bien…

- J'espère que tu le penses…

Elle a bu une gorgée puis elle m'a tendu le tube de crème protection 10 pour que je lui en passe sur le dos. Sa peau était plus délicieuse que dans mes souvenirs.

- Dan, je ne t'ai jamais fui, elle a dit en mettant sa tête sur le coté. C'était un truc qui me dépassait, qui nous dépassait…

- On en sort plus fort, non ?

- Oui. Tu sais, il y en a qui rêvent de trouver l'homme de leur vie et qui ne sont jamais certaines de l'avoir trouvé… Moi, je l'ai rencontré deux fois !… Et c'était le même… Toi !

- Trouver deux fois la femme de sa vie, c'est pas banal non plus ? !…

- Je ne suis pas un cadeau, mais je n'ai pas envie de te convaincre de ça !

- Tu crois pas que l'on serait mieux dans l'eau ?

- Tu restes sage, d'accord ?  Elle m'a interrogé malicieusement.

- Promis.

Nous nous sommes glissés dans l'eau et cela ressemblait à un de ces matins improbables qui se terminent en journée merveilleuse, en feu d'artifice intérieur qui vous rendent invincible dans l'instant… Pourtant j'avais bien failli ne pas m'en relever, comment avais-je pu imaginer baisser les bras ? !… Etait-ce cet espoir dingue qui m'avait tenu vivant ?… Cet espoir dingue que Za revienne ?… " On a toujours le choix" disait Za… Mais comment être certain de connaître la limite, le moment où tout bascule, où la vie n'est plus une certitude, encore moins un besoin ?… Le soleil me chauffait la nuque tandis que je nageais, on se croisait avec Za qui faisait, elle aussi, quelques longueurs, le temps s'était arrêté, réunis dans cette eau aux reflets bleutés scintillants.

J'ai regardé une fois encore ses fesses disparaître dans le remous des vagues… Il y avait Za dans cette piscine et j'étais heureux.

Za était sous la douche tandis que je fumais une cigarette sur le balcon de la chambre. L'eau s'est arrêtée de couler dans la salle de bain, j'en ai profité pour regarder le ciel encore bleu, un truc limpide, pas le moindre nuage à l'horizon.

- Tu penses à quoi ? Elle a demandé en me rejoignant sur le balcon.

J'ai eu une franche excitation en m'apercevant qu'elle n'avait rien sur le dos, elle s'est plantée là devant moi avant d'allumer une cigarette.

- Alors, à quoi pensais-tu ?

- Je sais plus, j'ai répondu en me grattant la tête. Tu es très belle et très excitante.

En face, à une cinquantaine de mètres, se trouvaient trois immeubles et j'ai pensé qu'il était facile d'apercevoir les fesses de Za…

- Il y en a qui doivent apprécier, j'ai dit en lui caressant le haut des cuisses.

- J'imagine qu'ils ont déjà vu une fille à poil …

- Oui mais toi…

- Si c'est le cas qu'ils en profitent, c'est fête ! Elle a rigolé en se penchant pour m'embrasser, offrant ainsi plus encore ses fesses aux regards inconnus et indiscrets qui pouvaient se poser sur elle.

- Je vais pas pouvoir résister longtemps, j'ai annoncé.

- Ce n'est pas grave… C'est encore tôt pour partir au restaurant… Elle a dit en attrapant ma queue à travers le caleçon.

Nous sommes rentrés dans la chambre et nous avons commencé à nous caresser fiévreusement, je n'avais jamais ressenti jusque là une telle excitation au contact de sons corps.

Nous avons fait l'amour comme deux amants qui se sont trop longtemps manqué, avec fougue et tendresse, avec passion et sans retenue, profitant de chaque seconde, jusqu'au dernier souffle nous nous sommes aimés.

La nuit était là, au dehors, encore tiède du jour, étendus sur le lit, écoutant les cris gais d'enfants en vacances qui montaient jusqu'à nous et au loin le bruit sourd d'une sono dans un des bars du port.

- Tu es heureux ? Elle m'a questionné.

- Si tu savais à quel point je le suis…

- Moi je suis heureuse comme tu ne peux pas l'imaginer, elle a souri.

Nous sommes sortis fumer sur le balcon, il y a des moments où tout semble parfait, où tout semble faire écho à de jolies choses… J'aimais les gens qui passaient sur la promenade en bas de l'hôtel et parlaient trop fort, j'aimais ces enfants qui riaient et courraient dans tous les sens sans écouter leurs parents, j'aimais ces couples qui passaient enlacés, j'aimais ces personnes âgées qui se promenaient tranquillement dans l'air du soir, j'aimais cette terrasse d'appartement éclairée au loin sur laquelle une famille mangeait joyeusement, j'aimais ces voitures qui arrivaient ou partaient avec des caravanes aux fesses, j'aimais ces vacanciers qui rentraient tardivement de la plage avec le matelas pneumatique au bout des bras, j'aimais l'odeur de grillades variées qui montaient du restaurant voisin, j'aimais ce chien qui profitait de la promenade avec son maître pour renifler les odeurs au pied des réverbères, j'aimais ce brouhaha qui résonnait du port, j'aimais cette douceur si particulière qui accompagne les belles soirées d'été… J'aimais Za. Sommes-nous surs de rien lorsque nous crevons que du plaisir que nous avons pu prendre ici bas ?… Ces moments de bonheur qui nous arrachent au quotidien ?… Ces moments de bonheur qui subliment la vie ?…C'est tellement bon de se casser la gueule quand on arrive à se relever ! !…

" Avec moi, ce sont les montagnes russes ! " M'avait averti un jour Za. " Au moins, je sais apprécier lorsque je suis tout en haut ". Comme elle avait raison !… Les cotes, les descentes, c'est fatigant mais varié, le plat c'est plus tranquille mais tellement plus chiant !… Za savait me faire profiter de son ambivalence, elle était vent feulant dans les arbres ou bien ouragan, elle était eau ou feu, ombre ou lumière, éteinte ou enflammée, sage ou salope… Za, c'était la vie ! !

- J'aimerais être bien dans mes baskets comme toi, elle a lâché en étirant ces bras au-dessus de sa tête.

- Attends, peut-être que tu trébucherais avec mes baskets !

- Je ne crois pas… En tout cas, je tiendrais davantage debout qu'avec les miens…

- C'est une impression, je t'assure… C'est parce que je fais vachement attention ! J'ai souri.

- Bon, on se le fait ce restau ? Elle a annoncé en se redressant sur ses coudes.

- C'est parti ! J'ai répondu en partant me doucher.

 

                                                          *

Le week-end a passé sans que l'on s'en aperçoive malgré la visite du mécano pour remorquer la voiture de Za impossible à redémarrer, et le dimanche en fin de journée, lorsque nous avons plié nos bagages, j'ai senti que mon moral, mon beau moral tout neuf était en train de filer dans mes chaussettes. D'accord, nous venions de passer quelques jours parfaits, mais là, il fallait repartir, moi chez moi, Za chez elle… On n'en avait pas discuté jusque là, on allait tourner le dos au soleil salé pour rentrer chez nous…

J'ai pris le ticket au péage, c'était le week-end des derniers grands retours, je m'en fichais, et j'étais même content à l'idée de passer quelques heures de plus avec Za, de prolonger un peu. Za allumé une cigarette et me l'a tendue.

- Quelque chose ne va pas ? Elle m'a interrogé.

- Tout va bien, tu es là…

- Dan, arrêtes… Depuis que nous avons quitté l'hôtel, il y a un truc qui cloche.

- En fait, c'est à notre sujet.

- Alors ? Elle a dit nerveusement.

- Bon, on rentre, et après ?

- Après quoi ? Elle a rigolé, détendue.

- On fait quoi en rentrant ?

- Et bien déjà, ce soir, tu viens chez moi, tu dors chez moi, ensuite on pensera à se réinstaller ensemble, non ?

- C'est parfait ! J'ai dit avec un bonheur absolu.

- On ne repart pas à moitié, enfin je le vois comme ça…

- Moi aussi, j'ai dit en lui caressant les cuisses.

- Regardes la route, on a toute la soirée pour ça…

- Ils font chier à doubler n'importe comment avec leurs caravanes !

- Du calme, on n'est pas pressé.

J'ai regardé le visage de Za pour m'apaiser, j'appréhendais déjà de mettre les pieds chez elle, là où pendant des mois elle avait mené sa vie sans moi.

- A droite, elle a indiqué.

J'ai tourné devant le portail d'un immeuble, première, le parking, place numérotée, garé.

- Finalement c'est bien que l'on ne soit pas rentré à deux voitures… Comme ça tu peux te garer à ma place.

- Penses à rappeler le garagiste, j'ai répondu un peu froidement.

- Demain… Allez, viens.

Hall à la peinture délavée, ascenseur exigu, huitième étage. Je l'ai suivie, forcément, incapable de dire derrière quelle porte se trouvait son logement.

Porte au fond du couloir.

- C'est là, elle a dit comme pour me rassurer, pour m'associer un peu à son appart.

Le verrou, l'interrupteur dans l'entrée.

- Poses tes affaires là, je vais ouvrir les volets.

J'ai posé mes affaires et j'ai avancé dans le salon. J'ai regardé les tableaux aux murs, j'en connaissais certains, d'autres m'étaient inconnus. Idem pour les meubles, les bibelots, partout il y avait un peu de nous, partout il n'y avait plus rien de nous. Terrible contraste, terrible évidence !… Cet appartement transpirait superbement notre séparation. Qui avait bouffé sur cette table ?… Qui s'était assis sur ce clic clac ?… Qui avait dormi ici ?… Qui s'était lavé le cul dans la salle de bain, à part Za ?… La désagréable sensation d'être étranger à tout ça me nouait salement le ventre. Et cette plante, là ?… Et ces nouveaux compact disc ?… Oui, Za avait vécu durant ces mois passés loin de moi... Peut-être avait-elle le souvenirs de soirées joyeuses dans cet appartement, de nuits aussi ?... Putain, il fallait que je m'enlève ça du crane, j'avais trop envie de profiter d'être là avec Za, il fallait que j'arrête de re garder cet appartement avec une colère et un dégoût contenu, tout ça c'était fini, c'est pour cette raison que j'étais là, non ?

Elle a attrapé des amendes et des olives dans un placard.

- Tu bois quelque chose ? Elle m'a questionné en amenant une bouteille de vin.

- Bonne idée…

- Dan, c'est du passé, je vais rapidement déménager, j'ai envie de vivre avec toi, il n'y a aucun doute dans ma tête…

- Je te crois… Mais me retrouver ici, ça fait drôle… Enfin non, ça fait mal !

- J'imagine… Mais j'ai envie d'avancer, et si l'on est à nouveau ensemble, c'est que tout ce qui a pu se passer durant ces derniers mois n'était pas important, en tout cas pour moi…

J'ai bu une gorgée de vin. Allumé une cigarette. Passé le doigt sur le tissu du clic clac.

- Paul est venu ici ?

- Oui.

- Et vous avez baisé ici ?

- Arrêtes Dan… Tu parles aussi de moi.

- Merde, vous avez baisé ici, tous les deux ?

- Non, pas ici !… Et puis qu'est-ce qu'on en a à foutre ?!… C'est du passé, fini, terminé !… Je ne sais même pas pourquoi j'ai fait ça… Je n'ai pris aucun plaisir à coucher avec Paul, si c'est ce qui t'intéresse…

- Quel salaud !

- Dan, si ça te pèses trop, on peut tout arrêter maintenant, c'est toi qui décide… Parce que pour moi, ça ne change en rien à mon désir d'être avec toi !

Je me suis gratté la tête nerveusement.

- Je suis désolé…

- J'ai confiance en nous, elle a affirmé.

- Moi aussi.

- A nous, elle a dit en levant son verre.

- A nous, j'ai répondu en trinquant.

C'était la première fois que Za m'invitait chez elle comme n'importe quelle fille aurait pu le proposer, c'était un truc vraiment bizarre… Pour autant, ce début de soirée avait quelque chose de très intime, chacun de nous étant habité par un besoin de séduction évident.

Quelques verres encore, restaurant. Retour à l'appart.

Dans la salle de bain, j'ai ressenti plus encore ce sentiment d'intrusion dans la vie Za. Je n'avais aucun repères tandis que Za se préparait en trouvant intuitivement chaque objet.

Je n'étais pas encore allé dans sa chambre, Za a fait une pose dans le salon en sortant de la salle de bain. Elle s'est étendue sur le canapé après avoir mis de la musique.

- On discute encore un peu ?

- Oui, je suis pas spécialement pressé de découvrir ton lit…

- Dan, ce soir c'est notre lit…

Elle a replié ses jambes et sa nuisette s'est plissée jusqu'en haut de ses cuisses.

- Je n'ai jamais été heureuse ici… Plutôt l'envie de me foutre en l'air par le balcon !

J'ai serré les poings et des images terribles ont explosé dans mon cerveau durant quelques secondes trop longues.

- Pourquoi tu ne m'as pas téléphoné ?

- J'étais trop mal… Et puis je n'étais pas partie pour jouer ensuite aux pleureuses… J'étais seule et je devais assumer.

- C'est pas toujours bon de ne compter que sur soit…

- Je n'avais pas le choix, personne ne m'a tendu la main… Mais bon maintenant on va avancer tous les deux, je n'ai plus envie de me polluer l'esprit avec ces souvenirs… Et j'espère que tu vas en faire autant.

- Oui, on va bouffer du bonheur tous les deux !

Elle a souri franchement, puis elle s'est levée pour aller choisir un compact disc avant d'entamer un strip-tease de tous les diables. C'était quelque chose de nouveau et d'affolant qu'elle m'offrait là !… Elle jouait divinement de mon excitation, s'effeuillant avec délice…

- Tu es superbe ! J'ai dit avec une émotion non contenue.

- C'est pour toi, c'est mon cadeau de retrouvailles…

- Continus, s'il te plait…

- J'aime être coquine avec toi…

- Petite allumeuse…

- J'espère que tu l'as bien dure, elle a dit en effleurant ma queue de sa main.

- Et toi tu mouilles ?

Elle a passé un doigt entre ses cuisses puis l'a porté à sa bouche pour le sucer.

- D'après toi ?

On a commencé par faire l'amour sur le canapé, on a terminé sur le lit, j'ai trouvé la chambre plus accueillante que je ne l'avais imaginé.

Ce qu'il y avait de génial avec Za, c'est que c'était tout aussi délicieux de me retrouver à coté d'elle lorsque nous venions de faire l'amour, j'étais alors près à crever dans ses bras, c'était vraiment particulier, je l'aimais avec toute mon âme, rien chez elle ne me donnait envie de m'éloigner.

- Je vais donner mon préavis pour l'appartement, d'ici là, on aura trouvé un nouveau logement, bien en nous, elle s'est enthousiasmé.

- Oui, je vais en faire autant de mon coté et on va sérieusement se mettre à chercher…

- Ce serait bien une maison.

                                                           *

La maison se trouvait à la sortie de la ville. Le jardin n'était pas immense, avec quelques arbres fruitiers plantés ici et là sur une pelouse verte et généreuse, et deux superbes rosiers encadraient une terrasse ombragée. Nous étions entourés de champs sur deux côtés, et d'une petite rue peu fréquentée qui tournait en angle droit, venant ainsi longer les deux autres cotés du terrain, délimités par des haies à hauteur d'homme.

Za avait su dénicher un coin calme. Un couple parti à la retraite qui avait libéré le logement et elle avait sauté sur l'occasion.

C'était avec une joie évidente que nous nous retrouvions en fin de journée lorsque nous rentrions du travail. On aimait discuter tout en prenant l'apéritif, nous mettant à table assez tard, quand nous ne décidions pas au dernier moment d'aller au restaurant. Nous faisions ainsi traîner les soirées, afin de profiter au maximum l'un de l'autre, et peu importait si certains matins, nous avions du mal à nous lever.

Les jours filaient doucement. Revoir Za à mes cotés me comblait de bonheur, et il n'était pas rare de me voir filer dans la maison un sourire au coin des lèvres.

Ce que l'on pensait avoir perdu en route nous avait en fait encore plus rapprochés. La séparation nous avait montré que nous recherchions bien la même chose tous les deux, une relation passionnée et sans compromis.

                                                             *

Nous nous étions enfin décidés à inviter Pierre et Brigitte. Nous n'avions pas donné suite jusque là aux messages qu'ils nous avaient laissés, il était temps qu'on leur fasse signe.

Nous avons pris un verre dans le jardin, sous le figuier. J'avais préparé une sangria, on savait qu'ils aimeraient.

Ils étaient aussi bronzés que nous, preuve que l'été avait était chaud un peu partout dans le pays, puisqu'ils étaient partis plus au nord durant leurs congés.

- Vous êtes vraiment bien installés, a noté Brigitte.

- Za a toujours eu du nez pour trouver des endroits pareils, j'ai répondu.

- On pensait que vous passeriez nous voir en rentrant de la mer … Ca vous faisait pas faire un grand détour, a dit Pierre.

- En fait, on avait besoin de se retrouver tous les deux, a dit Za, radieuse… Et puis il y avait ces histoires de déménagement, de nouveau logement à trouver…

- Effectivement, je comprends mieux, a conclu Pierre… Enfin, ça fait vraiment plaisir de vous revoir comme ça !… On a eu quelques échos par Paul qui a passé une semaine avec nous, il se posait pas mal de questions, vous étiez pas au mieux tous les deux.

J'ai resservi de la sangria à tout le monde…

- Paul, c'est une autre histoire… C'est pas la peine d'en dire davantage, ça ne changerait rien ! J'ai dit fermement.

- D'accord, comme tu veux, mais c'est dommage… A rajouté Pierre.

- C'est certain !… Mais jusque là, je croyais avoir à faire à un ami, c'était différent…

- Bon Pierre, si on parlait d'autres choses… Nous ne sommes pas là pour parler de Paul. Lui et Chloé n' ont pas été non plus très corrects avec nous, quoi que tu en penses… A dit Brigitte.

- Ah ? !… Il est avec Chloé à présent ? J'ai relevé.

- Tu sais, j'ai compris de suite pourquoi il était venu… s'est énervé Brigitte. Il a eu tendance à oublier que l'on était là !

- Il ne change pas… Il aime bien les virés entre amis dès l'instant où 'il n'a aucune obligations… J'ai tranché.

- On préfère ne pas avoir de ses nouvelles ! A dit sèchement Za.

- Bon, on est tous là pour passer un bon moment, non ? J'ai tranché.

Ils nous ont alors annoncé que Brigitte attendait un enfant, elle avait fait la première échographie, tout était normal, nous étions ravis pour eux.

Za avait préparé un plat en sauce délicieux, de l'avis de tous. On a bien arrosé le tout, finissant la soirée sur les chapeaux de roues… On s'entendait vraiment bien avec Pierre et Brigitte, on les avait toujours beaucoup appréciés.

Nous nous sommes quittés tard dans la nuit, après s'être promis de se revoir rapidement. Promesse sincère dans l'instant. Même si l'on savait que les semaines défilaient ensuite à un sacré rythme et que les invitations d'un soir pouvaient différer de plusieurs mois parfois… Avec Za, nous n'étions pas suspendus au téléphone comme Josi, genre à rameuter tout le monde pour se voir… Pour autant nous avions constaté que les vraies relations amicales ne souffraient pas les absences, même longues, quand celles-ci étaient simplement dues au temps qui passe trop vite… Pierre et Brigitte avaient également cette conception là de l'amitié, on ne s'obligeait à rien, on savait que l'on s'appréciait sincèrement, c'était cela le vrai ciment. Josi avait une autre conception de l'amitié, un truc plus fraternel, plus tribu, il fallait y plonger dedans ou bien quelque chose s'abîmait, c'était ainsi. Pour Josi, il était évident et nécessaire de souffler régulièrement sur les braises de l'amitié pour que le feu ne s'éteignent pas… Josi ne comprenait pas que l'on puisse s'éloigner de ce feu.

                                                            *

Le charme d'un début d'automne plein de promesses baignait notre amour de lueurs douces et sucrées.

Bien sûr, il arrivait que Za se renferme derrière un regard à vous glacer les sangs, mais c'était le pris à payer pour rester à ses cotés et profiter du bonheur qui pouvait jaillir quelques instants après. Za savait me rassurer alors d'un simple sourire, d'une simple caresse. Elle me demandait de la pardonner pour ces moments d'égarement, mais parfois les doutes l'emportaient sans qu'elle ne puisse rien y faire, ni moi d'ailleurs, c'était comme ça et elle n'y pouvait rien… Je la serrais encore plus fort, lui jurant qu'elle était merveilleuse et que je l'aimais follement !…

Cela ne m'empêchait pas de prier le ciel à l'occasion, lorsque j'avais la sensation qu'elle m'échappait.

Je m'en voulais de douter parfois de cet amour immense qui nous unissait…

Elle voulait que l'on ne néglige rien pour préserver ce bonheur que l'on tenait dans nos mains. Je croyais si fort à ce qu'elle disait quand je la voyais remplie de joie et de rêves dans lesquels nous étions toujours plus beaux et plus heureux

Oui, elle avait besoin de rêver pour échapper aux rudesses de la vie. Elle avait eu son lot, plus que d'autres, je le savais.

Elle disait avoir peur parfois de ne pas arriver à être à la hauteur de ses espérances profondes… Et dans ces moments là, elle préférait souffrir, seule et en silence…

Mais les instants de tendresse et de passion étaient bénis, comment pouvions nous tourner le dos à cette évidence ?!… Notre relation demeurait si particulière…

Autant dire que je n'ai pas sauté de joie lorsque Za m'a annoncé que son amie allait venir passer quelques semaines chez nous. Elle m'avait souvent parlé de Laurie. Elles s'étaient perdues de vue durant quelques années, lorsque son amie était partie à Londres. Za m'avait dit avoir pas mal souffert de cet éloignement, alors aujourd'hui, je me voyais mal faire la grimace à l'idée qu'elle vienne à la maison.

Za semblait ravie, mais personnellement la perspective de cette vie à trois ne me disait rien de bon… Ceci dit, je ne connaissais pas Laurie, peut-être que c'était une chic fille et que tout se passerait bien… Pensais-je pour tenter de me rassurer.

J'ai envoyé à Za un regard amical, remballant pour le coup la colère qui m'avait envahi lorsque j'avais appris la nouvelle.

- Après tout ça me donnera l'occasion de connaître Laurie. Je te promets de tout faire pour qu'elle se sente bien chez nous.

- Je suis certaine qu'elle te plaira… Et puis quoi, quelques semaines avec elle, c'est plutôt sympa, non ? A répondu Za.

- Tu as raison… Et puis tu a l'air d'être tellement heureuse à l'idée de la revoir !…

- C'est important pour moi que tu réagisses ainsi à sa venue… Saches que j'aurais très mal accepté qu'il en soit autrement…

- Allez, arrêtons de discuter et allons plutôt préparer sa chambre, j'ai conclu.

La pièce qu'allait occuper Laurie se situait à gauche à l'entrée du coin nuit, à coté de la salle de bain, qui séparait sa chambre de la notre. Je réalisais encore mal que nous allions quelques heures plus tard devoir partager notre intimité avec une fille qui n'était encore à mes yeux qu'une parfaite inconnue…

                                                           *

Za devait aller chercher Laurie à 17 heures à l'aéroport. Je ne pouvais pas me libérer aussi tôt ce jour là, on s'était entendu pour se retrouver à la maison.

J'ai plusieurs fois pensé à Laurie durant la journée, essayant de l'imaginer… Mais c'est seulement sur le chemin du retour, le soir, que je me suis aperçu que j'étais un peu nerveux à l'idée de cette rencontre un peu spéciale, puisque quel que soit l'avis que je pourrais avoir, je savais que Laurie resterait chez nous aussi longtemps qu'elle le souhaiterait, Za serait là pour le lui rappeler.

J'essayais pour autant de ne pas en faire toute une histoire mais ces derniers temps avec Za, on n'avait pas toujours marché sur du velours…

Plus que cinq minutes et j'aurais Laurie en face de mois.

J'ai donné un coup d'essuie-glaces après avoir fait gicler du liquide anti- moustiques sur le pare-brise… J'ai coupé le contact devant le garage… La voiture de Za n'était pas là.

Za et Laurie sont arrivées trois heures plus tard. Je sirotais un énième verre de whisky sur la terrasse. Je les entendais déjà rire aux éclats alors qu'elles n'étaient pas encore sorties de la voiture. J'ai serré les dents, je ne voulais pas être trop désagréable pour accueillir Laurie…

- Désolée, tu devais nous attendre… M'a dit Za en m'embrassant dans le coup.

Laurie s'est avancée vers moi, je me suis levé.

- Bonjour… Dan !… On peut se tutoyer, ce sera plus simple, j'ai dit.

- Avec plaisir… Za a du te parler de moi, j'espère que c'est en bien !… A répondu Laurie en souriant.

La première pensée que j'ai eue, c'est que Laurie était une fille séduisante… Elle était aussi brune que Za était blonde. Son air désinvolte et son regard pétillant avaient quelque chose de troublant…

- C'est sacrément sympa chez vous, elle a lancé en revenant de visiter la maison avec Za.

- Content que ça te plaise. Tu veux boire quelque chose ?

Elle s'est massé doucement la nuque pour essayer de se délacer mais je voyais bien que le plaisir d'être là avec Za l'emportait sur la fatigue qu'elle pouvait ressentir. J'ai compris que j'allais en baver avec ces deux filles à la maison …Za n'avait pas l'air de s'en faire, et me voir jeter de nombreux regards à Laurie semblait même bizarrement l'amuser… Je ne comprenais pas trop mais la température encore tiède et le bruit du vent dans les arbres avaient quelque chose de rassurant… J'ai levé la tête en souriant, on verrait plus tard pour le reste.

Parti me coucher, je les entendais encore discuter dehors, les chambres donnant sur la terrasse. Leurs voix formaient une douce mélodie… J'ai essayé de retrouver mes esprits avant de m'endormir… Comment ne plus penser à cette fille qui allait vivre sous notre toit ? !… J'espérais juste que Za savait ce qu'elle faisait en invitant Laurie chez nous !

                                                              *

Durant les premières semaines qui ont suivi, je n'ai jamais oublié de regarder Za, même si mon esprit vagabondait parfois lorsque Laurie passait devant moi, laissant son parfum en suspend sous mon nez. Je pensais néanmoins maîtriser la situation. Je rentrais certains soirs un bouquet de fleurs à la main pour rappeler à Za qu'elle brillait toujours autant à mes yeux…

- Tu pourrais à l'occasion en remmener un à Laurie, elle m'a dit un jour. Ca lui ferait plaisir…

- A vrai dire je n'y avais pas pensé… Mais à la vérité, je préfère te couvrir de fleurs, Laurie est assez mignonne pour que d'autres s'occupent de ça, tu crois pas ?

- Tu as sans doute raison, a répondu Za. Enfin saches que ces petites attentions me font très plaisir. Tu es adorable !

Je voulais surtout ne pas compliquer les choses, à vrai dire. Je voulais éviter de montrer à Laurie que je n'étais pas insensible à son charme.

Lorsque je déjeunais avec elle le matin, après le départ de Za, et que je la voyais débarquer dans la cuisine avec son tee-shirt qui lui couvrait tout juste les fesses – Dieu merci, elle n'avait pour l'heure jamais oublié d'enfiler une culotte, je l'en remerciait secrètement – j'avais du mal à me concentrer sur mon café, et autant dire que je ne traînais pas dans la cuisine !…

                                                             *

Il arrivait à Laurie de sortir le soir et de rentrer alors tard dans la nuit. On en profitait avec Za pour investir d'autres pièces que notre chambre pour faire l'amour. Mais lorsque j'entendais Laurie rentrer, je me surprenais à être jaloux des rencontres qu'elle avait pu faire… Jamais elle ne nous avait proposé de venir avec elle, prétextant que ça nous permettait de nous retrouver tous les deux. Pourtant je détestais la voir dans ses petits tailleurs qui lui allaient à merveille… A tous les coups dans les minutes qui suivaient, on entendait un bruit de moteur bourdonner devant la maison, et elle filait aussitôt, nous embrassant à la volée. Qui venait la chercher ?.. On n'en savait rien.

- Elle pourrait quand même le faire rentrer, J'ai dit un jour.

- Pourquoi il ? A rétorqué Za en souriant.

- Je sais pas, mais ça me parait vraisemblable que ce soit un type, j'ai essayé d'argumenter. Pour le connaître…

- Tu es bête… Je pencherais plutôt pour une amie -i.e. Mais à l'occasion si ça peut te rassurer, je lui demanderai, elle a souri.

Elle a commencé à déboutonner sa robe.

- En attendant d'avoir une réponse à ta question, viens plutôt près de moi, j'ai très envie de toi !

Elle est allée s'asseoir sur le bord de la table de la cuisine.

- C'est vrai qu'elle n'est pas mal ma copine, elle a ajouté avec provocation.

- Montre-moi tes fesses, on reparlera de ça plus tard.

- Et elle a un joli cul, je t'assure, elle a continué.

- C'est vrai que le peu que j'en ai vu… J'ai répondu.

- Attends mon salop, mais ça te fait bander de parler d'elle ! Elle a souri en me baissant le pantalon.

- Non, je bande parce que tu es devant moi à moitié à poil et que j'ai envi de te baiser.

Elle a écarté ses cuisses et elle a commencé à se caresser. Je me suis alors approché et je lui ai léché son sexe. Après quoi, je l'ai baisée, avec tout mon cœur.

                                                             *

Heureusement, le travail était là pour me changer les idées. Je me plongeais avec joie dans les dossiers du matin au soir. Je sortais la tête de l'eau en fin de journée, content d'avoir pu échapper durant quelques heures à ce qui m'attendait à la maison.

Bien sûr c'était merveilleux de retrouver Za et Laurie lorsque je rentrais mais elles semblaient ignorer combien je devais lutter pour ne pas imaginer les glisser toutes les deux dans mon lit… C'était effrayant lorsque je me demandais si je n'étais pas en train de tomber également amoureux de Laurie !…

Le vent était frais, j'ai marché jusqu'à la voiture en respirant à pleins poumons… Le ciel était incertain mais il ne menaçait pas de pleuvoir. Je me sentais en accord parfait avec cette journée automnale… Le vent a envoyé valser une feuille dans ma nuque… Ma surprise m'a fait sourire alors que j'allais grimper dans la voiture.

                                                               *

Nous avions ce week-end là invité Josi, Pierre, Brigitte, mais aussi trois amis de Laurie qu'elle avait croisés quelques jours plus tôt. J'avais envie de voir du monde.

Josiane est arrivée la première, comme à son habitude. Pierre et Brigitte l'ont suivie peu de temps après. Dans la même minute j'ai vu une autre voiture pointer devant chez nous. Laurie venait vers nous, accompagnée de deux filles et d'un type qui marchait juste derrière elles.

On a fait les présentations. Nos invités d'un soir s'appelaient Marie, Sabine et Mathieu. Laurie n'avait rien à craindre, elle surclassait sans mal ses amies au physique plutôt banal. Quant à Mathieu, il était assez beau gosse, mais je n'aimais pas trop l'air suffisant qu'il dégageait.

Les premiers rires n'ont pas tardé. Pierre aimait raconter des histoires et il n'a pas hésité à se lancer… Après quelques verres, Mathieu en a fait de même mais il était évident qu'il avait moins de talent pour faire rire l'assistance. J'ai compris aussi que voir ce type jeter un regard à Laurie toutes les trente secondes allait finir par m'exaspérer !… Marie et Sabine restaient transparentes, essayant de temps à autre de glisser un mot qui accrochait difficilement l'attention des autres. Josiane était en pleine forme, elle discutait le plus souvent avec Za, Brigitte et Laurie. Si bien que rapidement, on s'est retrouvé avec Pierre dans l'obligation de faire la conversation à Mathieu.

- Ca fait longtemps que tu connais Laurie ? J'ai demandé, n'y tenant plus.

- Depuis cinq ans environ… On s'est connu en vacances. J'étais partis à Londres avec des amis, dont Marie et Sabine, malheureusement on n'a pas eu souvent l'occasion de se revoir… Alors quand elle nous a téléphoné pour nous dire qu'elle revenait dans le coin, on lui a dit que c'était une excellente idée et on a pas perdu de temps pour se retrouver tous ensemble… Et puis tu as dû t'en apercevoir tellement ça crève les yeux, une fille comme Laurie, on ne peut pas l'oublier... Elle est très sympa et vraiment mignonne !… Si je vois que j'ai une chance avec elle… A t-il fini par lâcher en nous faisant un clin d'œil.

- Tu as raison, l'important est de s'accrocher, a souri Pierre.

- Enfin, je pense lui plaire, c'est déjà ça !… A répondu Mathieu.

- En effet, c'est une bonne base, j'ai reconnu.

- J'ai souvent eu les filles qui me plaisaient, je dois avoir de la chance… a dit fièrement Mathieu.

- Alors dans ce cas, tu n'as pas de soucis à te faire … Tu n'as plus qu'à attendre qu'elle te tombe dans les bras ! J'ai conclu avant de tourner la tête vers les filles.

Ca avait l'air d'avoir accroché entre Josiane et Laurie… Marie et Sabine étaient toujours aussi coincées et inexistantes sur le canapé.

Pierre continuait à discuter avec Mathieu. Tant mieux, cela me permettait d'ignorer un peu ce type.

Je me laissais bercer par ces conversations décousues qui fusaient dans la pièce. C'était agréable parfois de rester un peu en retrait pour mieux goûter à l'atmosphère d'une soirée…

Za était parfaite en hôte, elle n'oubliait pas de jeter un œil de temps à autre pour s'assurer que tout se passait bien. Son sourire éclairait son visage, elle semblait heureuse.

- On pourrait aller faire un tour en ville, qu'est-ce que vous en dites ? A proposé Josiane, toujours prête à continuer une soirée jusqu'au bout de la nuit. Za, Brigitte et Laurie sont partantes, Marie et Sabine aussi.

- Pourquoi pas ? ! J'ai répondu.

- Je connais un endroit super sympa, il y a de la bonne musique et une bonne ambiance, a suggéré Mathieu.

- On peut toujours tenter, a dit Pierre.

- Allez les mecs, debout, on y va ! A lancé Za en rigolant.

- Ca nous fera du bien de bouger, a dit Laurie.

Mathieu a semblé faire la gueule, genre qu'est-ce qui lui prends, elle a ce qui lui faut sous la main, pourquoi bouger ?… J'ai souri intérieurement.

J'étais curieux de savoir où Mathieu allait nous emmener. Je n'étais vraiment pas sûr d'avoir les mêmes goûts que lui en matière de sorties… J'ai serré Za par la taille quand elle est revenue de la chambre une veste sur le dos. Les autres étaient déjà dans le jardin. J'ai remonté une main le long de ses cuisses … J'ai senti le haut de ses bas, et alors que je continuais, je me suis aperçu qu'elle avait enlevé sa culotte !

- Tu n'as rien mis ? ! J'ai haleté.

- Tu préfères que je la remette ? Elle a répondu avec un regard de braises à vous couper les jambes.

- Non !… Mais t'es une vrai cochonne !

- C'est ce que tu aimes, non ?

- Allez viens, ils nous attendent, j'ai fini par dire, terriblement excité

Finalement nous avons débarqué dans une boite de nuit parfaitement banale. La musique était naturellement trop forte et pas géniale. Za, Josiane, Brigitte et Laurie ont de suite repérée la petite piste de danse et n'ont pas tardé à y aller, entraînant pour la forme Marie et Sabine qui avaient visiblement du mal à se lâcher.

On en a profité avec Pierre et Mathieu pour continuer à s'envoyer quelques verres, on avait pris deux bouteilles et le barman nous a trouvé rapidement une table. On commençait à être bien allumés.

Je pensais à Za qui était en train de danser, les fesses à l'air sous sa jupe… J'étais le seul à savoir,  forcément, et ce petit secret érotique entre nous ne faisait qu'accentuer mon excitation.

- Tu vas pas rejoindre Laurie ? J'ai demandé à Mathieu.

- Elle sait que je suis là, non ? Il a répondu, toujours conquerrant.

- N'oublies pas que tu n'es pas le seul mec ici ! J'ai averti.

- C'est sûr, mais en fait, je suis un peu trop cuit pour aller la rejoindre. Elles vont quand même pas danser toute la soirée.

- J'en suis pas aussi certain que toi…

- C'est pas grave, qu'elles en profitent, a dit Pierre.

- Ouais, mais qu'elles n'oublient pas qu'on est là ! A ajouté Mathieu, moins sûr de lui tout à coup.

Je me suis levé pour me traîner jusqu'à la piste. Za, Josiane et Brigitte bougeaient sous des éclairages un peu délirant, dans les rouges orangés, j'ai été surpris de ne pas apercevoir Laurie. Je suis resté là un court instant avant d'aller faire un tour ailleurs. J'aimais bien aller me promener dans ces endroits là.

Dans le fond de la salle, j'ai vu Laurie enlacée avec quelqu'un. J'ai frémi sur le coup, mais j'ai voulu m'approcher pour savoir qui était l'heureux élu. L'éclairage était faible, on ne voyait pas très bien… Après avoir fait quelques pas de plus, je suis resté cloué sur place lorsque je me suis rendu compte… Que c'était une fille qui était avec Laurie !… J'ai de suite fait demi-tour, j'en avais assez vu !

Je suis retourné à la table où attendaient Pierre et Mathieu… Il m'a presque fait de la peine quand il m'a regardé, m'interrogeant du regard.

- Alors elles dansent toujours ? Il m'a demandé.

- …

- Alors ? Il a insisté.

- Oui, oui, elles dansent toujours, j'ai répondu. On est mieux ici à les attendre… Y a un monde incroyable sur la piste.

- Tu vois, je te l'avais dis, il a ajouté.

- Tu as raison de le voir comme ça… Au bout du compte, elles finissent toujours par nous faire perdre la tête, préservons-nous quelques moments de répit !… J'ai lancé.

- Tu verras… Je sais voir quand je ne laisse pas insensible une fille… A continué Mathieu, les quelques verres avalés lui ayant redonné confiance.

- Elles ont vraiment la santé ! A dit Pierre.

- Tu sais, on pourrait les suivre sans mal si on avait pas autant bu !… Mais c'est vrai, il faut bien reconnaître que quand elles décident de s'amuser, plus rien ne les arrête, j'ai répondu.

Je me demandais si Laurie était toujours là bas avec la fille… J'étais vraiment tombé sur le cul !… Za était-elle au courant ?… Je me souvenais à présent du jour où elle m'avait dit douter que ce soit un type qui vienne la chercher… Et du sourire amusé qu'elle avait eu lorsque le premier soir j'avais lancé des regards quelque peu équivoques à Laurie !… Et puis ce fameux soir où nous nous étions retrouvés avec Marine, Za n'avait pas eu l'air d'être trop gênée par cette relation à trois pour le moins ambiguë.

J'ai descendu le dernier verre qui restait devant moi pour reprendre quelques forces.

Za est revenue, une coupe de champagne à la main, Josiane et Brigitte suivaient. Les deux autres avaient préféré continuer à danser, ce n'était pas plus mal.

- Ca fait du bien de se défouler, m'a glissé Za en se serrant contre moi, encore essoufflée.

- C'est sûr. Je suis content que tu t'amuses, Je lui ai répondu.

- J'ai vu Laurie, elle ne rentrera pas avec nous.

- Ah bon ?!… Après tout si elle préfère rester un peu plus ici…

On a été saisi par le froid lorsque l'on est sorti, ça m'a fait du bien. Rien de tel pour retrouver un peu ses esprits…

Mathieu bataillait avec l'alcool qu'il avait ingurgité toute la soirée, il semblait avoir du mal à gérer ça à présent. Et puis il n'avait pas bien compris pourquoi Laurie avait souhaité rester. D'autant qu'on ne l'avait plus revue de toute la soirée… Mais en bon malle triomphant, cela ne semblait pas remettre en cause ses certitudes quant à sa capacité de séduction… J'ai noté simplement que c'était un pauvre type.

Nous nous sommes tous quittés sur le parking, j'étais pressé de me retrouver seul à seul avec Za. On a grimpé dans la voiture, il était tard, nous étions fatigués.

- Tu étais au courant que Laurie s'intéressait aux filles, j'ai questionné Za.

- … Oui je le savait, tu penses bien !…

- Tu ne m'en as pourtant jamais parlé, j'ai été vraiment surpris quand je les ai vues toutes les deux s'embrasser…

- Oui, je comprends !

- … Et vous deux ? J'ai demandé à Za.

- Comment nous deux ?

- Ca date peut-être pas d'hier son attirance pour les filles, et comme je sais que vous avez été très proches toutes les deux…

- On n'a jamais couché ensemble, elle a rigolé…Mais nous étions très proches, c'était quand même plus que de l'amitié…

Le moteur tournait, j'ai mis le chauffage et j'ai allumé une cigarette.

- Comment dire ?… Elle a continué. C'était une période de notre vie où nous n'étions vraiment pas bien… Je venais de perdre mon père, elle son frère, on était toutes les deux un peu pommées… On s'est alors aidé toutes les deux, mais on perd aussi des forces à vouloir repêcher les autres… Il fallait que l'on mette un terme à cette relation, je suis partie…

J'étais assez perturbé par les confidences que Za venait de me faire, mais lorsque nous sommes arrivés à la maison, je n'ai plus pensé qu'à relever sa jupe pour apercevoir ses fesses rondes et son sexe … Après quoi je me suis assis sur le canapé et je l'ai l'invité à venir se mettre sur moi pour qu'elle enfouisse mon sexe entre ses cuisses. Je lui ai découvert ses seins pour les caresser et les lécher… Ses bouts étaient durcis par le plaisir, c'était si bon de voir son corps bouger devant moi. Quelques longues minutes après, nous avons joui dans un râle de plaisir intense.

Il était très tard, et à bout de forces, on s'est laissés glisser l'un à côté de l'autre. Nous nous sommes ainsi endormis nus sur le tapis du salon…

Laurie est rentrée à huit heures. J'ai juste eu le temps d'entendre la clé dans la serrure, elle était déjà devant moi.

- Désolé, on a pas eu le courage d'aller jusqu'à la chambre, j'ai dit.

- Y a pas de mal, vous avez eu raison, elle m'a répondu… Et puis vous êtes beaux comme ça tous les deux… Elle a rajouté, songeuse.

Za a ouvert difficilement un œil avant de sourire à Laurie.

- Alors, tu as passé une bonne fin de soirée ? Elle lui a demandé.

- Oui ! A simplement dit Laurie. Bon, ça vous dit un café ?… Je m'en occupe.

Nous sommes allés prendre une douche, elle nous a rejoint pour en faire autant.

- Il faut d'abord que je me démaquille, allez-y.

Je me sentais un peu bête, nu devant elle, tandis que Za faisait déjà gicler l'eau à coté… Je l'ai suivi. Lorsque nous avons tiré le rideau pour attraper les serviettes, Laurie finissait de se déshabiller. Comment pouvait-elle penser que je puisse rester insensible à la vue de son corps ?… Mais j'ai remarqué aussitôt que Za semblait également troublée en voyant Laurie nue.

On s'est retrouvé tous les trois dans la cuisine quelques minutes plus tard... Café noir, cigarettes, une nouvelle journée s'amorçait.

                                                              *

Je n'arrivais plus à m'enlever de l'esprit l'image de Laurie me dévoilant son corps le plus naturellement du monde. Mais alors je revoyais Za, loin d'être insensible aux charmes de Laurie. Tout cela me travaillait et je pensais à présent que Laurie nous tenait Za et moi dans sa main, et ça ne me plaisait pas du tout !… Pourtant elle restait chez nous et son départ ne semblait pas être à l'ordre du jour.

Etait-elle revenue pour reconquérir Za ?…

Laurie restait à présent beaucoup plus souvent avec nous, ne sortant que très rarement le soir. Il lui arrivait de nous préparer de bons petits plats, allant jusqu'à initier quelques repas aux chandelles plutôt intimes… Le problème, c'est qu'elle se joignait à nous et que l'on finissait par apprécier ces instants que nous partagions à trois. Cette situation demeurait atypique, on ne savait pas vraiment où on mettait les pieds… Et lorsque, passant près de Za, Laurie l'embrassait tendrement, je frissonnais !…

Za était radieuse, entourée des deux personnes qu'elle aimait – sans doutes – le plus chèrement. D'un côté je la comprenais… Et mon désir pour Laurie grandissait dangereusement !

- Je ne sais plus très bien où j'en suis, m'a lancé Za un matin. Je vous aime tous les deux !… Il est la le problème !…

- C'est certain ! J'ai failli m'étouffer. Qu'est-ce que tu comptes faire ?

- J'aimerais tellement que l'on continue comme ça tous les trois !

- Pardon ? !... Et nous dans tout ça ? Je l'ai questionné.

- Aujourd'hui je n'arrive plus à imaginer ma vie loin de toi, ni loin de Laurie d'ailleurs…

- Je sais pas quoi te dire. Seul le temps nous dira si tu as eu raison de nous vouloir tous les deux prés de toi… J'ai besoin de réfléchir… J'ai trop peur de te perdre Za !…

Elle est venue contre moi et nous nous sommes embrassés.

                                                           *

Lorsque je rentrais le soir et que je trouvais Za et Laurie discutant ensemble et se tenant l'une contre l'autre sur le canapé, je ne savais pas toujours qu'elle attitude adopter. Je prenais alors sur moi pour venir embrasser Za et Laurie, l'une amoureusement, l'autre tendrement. Je devais bien reconnaître que Za avait trouvé un nouvel équilibre, sans pour autant que son comportement change à mon égard. Par contre, elle ne se cachait pas pour enlacer Laurie devant moi.

Je me traitais souvent d'imbécile… Comment pouvais-je accepter cette situation ?… Puisque c'était bien ce que je faisais en restant… L'amour que j'avais pour Za faisait-il de moi un homme si faible, préférant partager la fille que j'aimais plutôt que de risquer la perdre ?…

Mes nuits étaient tourmentées, j'avais du mal à récupérer. Heureusement, nous dormions encore tous les deux avec Za, mais l'ombre de Laurie planait sur notre couple.

                                                            *

J'ai croisé Pierre un midi. Nous avons décidé de manger un bout dans un snack qui se trouvait non loin de là.

- Tu as l'air fatigué, m'a dit Pierre.

- Je tiens pas la grande forme en ce moment, mais ça va revenir…

- Et Laurie, elle est toujours chez vous ? M'a t-il demandé.

- Houai, Za est ravie qu'elle soit là, j'ai dit, plongeant les yeux dans mon assiette.

- Tu es sûr que ça va ?

- N'en parlons plus, je lui ai dit.

- Comme tu veux, mais tu m'inquiètes un peu…

- N'oubliez pas de nous tenir au courant lorsque le bébé naîtra …

- Je ne réalise pas encore vraiment… Pourtant je vais être père…

- C'est sûr, ça doit pas mal chambouler !

- Brigitte prend des formes, sent le bébé bouger dans son ventre, moi je m'occupe de trouver une poussette ou un lit parapluie, il a rigolé.

- Tu vois, tu deviens responsable, j'ai souri.

On a ensuite discuté de banalités, je ne tenais vraiment pas à ce que l'on reparle de Za et de Laurie. Je ne me sentais pas fier de la situation que l'on était en train de vivre… Comment avouer que l'on était en train d'avancer vers un précipice tous les trois et qu'aucun ne semblait prêt à faire le geste nécessaire pour éviter ça !…

Nous avons fait quelques mètres sur le trottoir mouillé avant de partir chacun de notre coté, Pierre et son bébé déjà encré dans son crané, dans son cœur, moi et mes doutes qui me glaçaient le sang.

                                                              *

Il fallait bien faire quelque chose… J'ai emmené Za et Laurie à la campagne, loin de chez nous. Peut-être que ça nous aiderait à y voir plus clair !… Za et moi aimions beaucoup cette région assez sauvage pour nous permettre de respirer… C'était aussi l'occasion de la faire découvrir à Laurie. L'atmosphère qui régnait dans la voiture était particulière mais joyeuse. Za était radieuse, c'est ce qui m'importait avant tout.

Nous nous sommes arrêtés le long du fleuve, ça sentait l'écorce et la terre humide. On s'est installés pour pique-niquer. D'épais nuages blancs filtraient les rayons du soleil, tels de gros spaghettis tièdes et lumineux venant se visser dans le sol. Za s'est placée entre nous deux puis a découpé le foie gras, j'ai ouvert une bouteille de vin et j'ai servi tout le monde.

Quand nous avons repris la route, les filles étaient un peu gaies, elles avaient apprécié le vin… Elles déconnaient toutes les deux, je n'ai pas tardé à joindre mon rire aux leurs. Nous étions seuls au monde à cet instant, légers comme la fumée de cigarette qu'envoyait Za au plafond… Je n'en demandais pas davantage.

Je me suis senti libre tout à coup, libre de tenter cette aventure à trois à laquelle Za n'avait pas renoncé, et peu importait comment les gens nous jugeraient…Je voulais seulement rappeler à Za que si j'étais dans cette galère, c'était par amour pour elle et que si Laurie était partie plus tôt, je n'aurais certainement pas couru après…

Nous avons trouvé un hôtel charmant quelques kilomètres plus loin. Il faisait face au fleuve sinueux que nous avions continué à longer. De grosses masses escarpées et arborées venaient se découper dans ce décor majestueux, de l'autre coté du fleuve.

Un peu plus loin dans l'horizon, en haut d'une falaise, se tenait, droit et fier, un magnifique château médiéval qui surplombait la vallée qui s'étendait à ses pieds.

On est resté là un moment, balayant avec nos yeux toute cette beauté qui explosait devant nous.

Za nous a précédés lorsque nous avons pénétré dans le hall de l'hôtel.

- Bonjour. Nous voudrions deux chambres. Une double et une simple, Elle a demandé.

Puis elle s'est retournée vers nous alors que le type attrapait les clés des chambres.

- Vous prenez la double, je prends la simple, elle nous a lancé avant de venir nous embrasser tendrement.

Je l'ai interrogé du regard, complètement déconcerté. Laurie était également surprise mais elle n'a rien dit.

Nos chambres se trouvaient l'une à coté de l'autre, c'était un moindre mal, j'ai pensé pour me rassurer… Mais que Za nous oblige ainsi, Laurie et moi, à dormir dans le même lit, avait fait naître en moi de la colère … C'est vrai nous n'étions plus chez nous, mais de là à tout chambouler à ce point !… Za aurait pu m'en souffler un mot plutôt que de me mettre devant le fait accompli. Je me sentais quelque peu trahi à vrai dire.

Je suis resté sonné de longues minutes tandis que nous étions dans la chambre et que Laurie commençait à défaire son sac et à suspendre ses affaires. J'étais allongé sur le lit, détaillant les murs qui nous emprisonnaient là, Laurie et moi !…

- Ca ne va pas ? M'a demandé Laurie.

- Si, si, mais à la vérité, je ne m'attendais pas à me retrouver là avec toi…

- Elle est comme ça Za, totalement imprévisible…

- Je sais… Mais à ce point !…

- Ni toi, ni moi n'avons envie de la voir malheureuse, alors on peut faire un petit effort. Une nuit loin d'elle, tu dois bien pouvoir faire ça, non ?

- La preuve !… J'ai répondu.

- Allez, viens te préparer, elle doit déjà nous attendre…

Nous nous sommes retrouvés devant l'hôtel. Za était magnifique mais je savais que ce soir là elle n'était pas seulement belle pour moi… Un vent de tristesse m'a effleuré…

Le restaurant se situait cent mètres plus loin.

Le repas était excellent, le vin délicieux. Les prix affichés à l'entrée avaient dû en décourager plus d'un mais nous n'étions pas venus ici pour faire les choses à moitié… J'ai fini par une eau de vie, les filles avaient préféré du champagne. Za avait les joues rosies par l'alcool, Laurie avait les yeux qui brillaient plus que d'habitude. L'endroit était rustique et douillet, on se plaisait à discuter tous les trois.

C'était une séduction singulière à laquelle nous nous abandonnions… Laurie et moi regardant Za amoureusement, elle nous dévorant des yeux avec un bonheur évident…

Je pensais à notre couple qui avait éclaté aux quatre vents, quoi que l'on puisse en dire. N'être plus deux mais trois, je n'étais pas sûr de pouvoir le supporter bien longtemps… Je n'espérais plus grand chose en fait !…

Nous sommes rentrés à l'hôtel au pas de course, l'air froid nous fouettant le visage. Je tenais Za par la taille, la serrant contre moi. Mais elle n'a pas tardé à tendre sa main à Laurie…

- A tout de suite… Je viendrai vous faire la bise, nous a dit Za avant de disparaître dans sa chambre.

Je me suis donc retrouvé seul avec Laurie. Elle s'est mise à poil sans se soucier vraiment de moi, puis elle est allée à la salle de bain. J'ai passé un caleçon et je l'ai rejointe. Bien sûr je l'aurais baisée, mais j'ai chassé à la volée cette idée de mon esprit. Elle se passait tranquillement de la crème sur les seins. Elle a continué par les cuisses et les fesses qu'elle offrait ainsi généreusement mais innocemment à mon regard. Je serrais les poings pour ne pas craquer… J'ai finalement décidé de prendre une douche qui me ramènerait je l'espérais à la raison… Une fois nu, j'ai eu du mal à cacher mon excitation et Laurie n'a pas manqué de le souligner.

- C'est moi qui te fait cet effet ? Elle m'a demandé un sourire au coin des lèvres, ayant pourtant du mal à contenir sa gène et sa surprise.

- Je peux pas rester de marbre en te voyant… Je suis désolé si ça te choque… Je lui ai répondu avant de faire couler l'eau sur mon corps pour le moins enfiévré.

Za est alors arrivée, j'ai pu souffler… Jusqu'à ce que je sorte de la douche et que je la vois caressant les seins de Laurie. J'ai fait glisser le peignoir de Za le long de ses hanches. Elle s'est retournée et elle a commencé à se frotter contre moi. Puis elle a pris délicatement la main de Laurie et l'a approché de mon sexe. J'ai trouvé ses caresses quelque peu maladroites mais je restais très excité… Je suis arrivé miraculeusement à retrouver mes esprits… Laurie glissait à présent sa main entre les cuisses de Za qui semblait défaillir. J'ai fait un pas en arrière et je suis parti aussi sec dans la chambre. Je me suis habillé rapidement tandis que j'entendais Za gémir à coté. J'ai posé mon sac près de la porte et je suis revenu dans la salle de bain. Za a levé les yeux, elle a de suite compris.

- C'est pas ce que j'imaginais pour nous, je lui ai dit, calmement. Comment puis-je accepter de te partager avec quelqu'un d'autre ?… Savoir que je n'arrive plus, seul, à te combler, m'est insupportable… Regarde ce que tu fais de nous Za !… Peut-être penses-tu que c'est par égoïsme que je réagis ainsi mais je ne le crois pas. Je préfère partir, parce que je t'aime toujours autant, parce que je peux pas demeurer plus longtemps un des acteurs consentant de tout ce gâchis !… Je laisse les clés de la voiture sur le lit, je vais appeler un taxi pour rentrer chez nous, enfin, ce qui l'en reste ! Excuse-moi !… J'ai conclu.

Elles étaient pitoyables à présent, nues devant moi, sans ce plaisir qui les rendaient si belles quelques instants plus tôt. Za était blême, Laurie écarquillait les yeux, ne comprenant plus ce qui se passait.

- Dan, peut-être que tu prends la bonne décision. Après tout tu as sans doute raison… J'avais tout pour être heureuse, je ne sais pas ce qui m'a pris mais lorsque j'ai revu Laurie, mon cœur a cogné très fort, trop fort, pour que je puisse l'ignorer. Visiblement je me suis plantée lamentablement, et si je comprends bien, je suis en train de perdre l'homme que j'aime… Dan, ne me laisse pas, je t'en prie !… M'a supplié Za

Elle s'est tournée vers Laurie.

- Tu ne peux pas imaginer à quel point je l'aime… Dan est merveilleux, j'ai besoin de lui, tu comprends ?… C'est vrai que l'on a vécu des moments forts et inoubliables toutes les deux, mais ça fait si longtemps !…

- Mais pourquoi ne plus croire en nous, Za ?… L'a suppliée Laurie, complètement perdue. On a fait du chemin toutes les deux, on est un peu moins cabossées aujourd'hui, non ?

- Souviens-toi, on a accepté de vivre chacune de son coté !… Et il y a Dan aujourd'hui… Peut-être qu'on n'y a pas assez cru toutes les deux à ce moment là mais j'ai trouvé un équilibre, une relation passionnée qui me comble… Je me suis trompée Laurie, pardonnes-moi, je m'en veux tellement, crois moi… Mais je vais partir avec Dan !… Je ne peux pas regarder en arrière toute ma vie ! A dit Za, fondant en sanglots et venant se serrer contre moi.

Laurie a fermé les yeux.

- Et merde !… A lâché Laurie en venant nous serrer tous les deux dans ses bras. Je vais rester dormir ici. Je vous dirai où m'envoyer mes affaires… c'est mieux que je ne repasse pas chez vous !… Je t'aime Za !… Toi aussi Dan, même si c'est très particulier.

On a quitté l'hôtel vers deux heures du matin. Za s'est endormie rapidement, complètement vidée. Je lui ai plusieurs fois caressé les cheveux tout en gardant un œil ouvert sur la route, je ne tenais pas à ce que l'on se foute en l'air, surtout pas maintenant !…

J'aurais voulu hurler mon bonheur d'être là avec Za, enfin tous les deux, après cette dernière tempête qui nous avait salement secoués… Mais je n'ai pas voulu la réveiller.

                                                            *

J'ai allumé le feu dans la cheminée. Za était en train de lire, assise face à moi. J'ai mis de la musique pour mettre un peu de vie dans la maison.

Depuis notre retour, je ne reconnaissais plus Za, elle était la plupart du temps complètement absente, et je devais souvent répéter pour qu'elle m'accorde un semblant d'attention. Même les sourires que je finissais par lui arracher, exceptionnellement, n'avaient plus rien de semblables avec ceux que je lui avais connus avant toute cette foutue histoire avec Laurie.

En restant avec moi et donc en renonçant à Laurie et à notre trio qu'elle aurait voulu amoureux, elle s'était en fait résignée, et cette désillusion qui habitait son regard avait quelque chose de terrible !…

Nous ne faisions plus l'amour… Je redoublais de tendresse pour tenter d'éclairer de nouveau son visage mais elle se renfermait aussi tôt et rejetais mes avances.

- Dis-moi ce qui ne va pas, sinon comment veux-tu que l'on se sorte de cette mauvaise passe ? Je lui ai demandé.

- C'est moi qui ne vais pas !… Ca fait longtemps que j'aurais dû me pencher sérieusement sur mon cas ! Elle a ricané… Je suis lasse de devoir lutter continuellement pour un bonheur qui m'échappe chaque jour un peu plus… Tu n'y es pour rien, tout ça, c'est dans ma tête…

- Je suis prêt à partir si ça doit te permettre d'aller mieux… L'important c'est que tu retrouves goût à la vie, je te jure !…

- Partir ?… Mais ça ne ferait faire qu'empirer mon mal être… Ce que je suis, je te le dois Dan, sans toi je ne serais peut-être plus là !… Elle a dit froidement et avec une détermination qui m'a glacé.

- Je veux plus t'entendre dire ça, tu m'entends ? ! On a encore mille choses à partager ensemble, tu n'a pas le droit d'ignorer ça ! Je me suis emporté.

- Avant de te rencontrer, j'ai beaucoup souffert et j'y ai laissé tellement de forces !… Trop de forces, tu comprends ? Toi tu m'apportes tout ce que tu peux mais ça ne suffit pas à m'arracher à tous ces fantômes. Avoir revu Laurie n'a rien arrangé, bien sûr, mais bizarrement, ça m'a fait du bien !… Tu vois, pendant quelques semaines, je me suis raccroché à quelque chose d'impossible, je sais… Et toi, tu as accepté ma douce folie, je t'en remercie infiniment !… Mais au bout du compte, je me suis abîmée, une fois de plus… Je n'en peux plus Dan ! Elle a conclu en me fixant droit dans les yeux.

Je me suis alors senti totalement impuissant… Je souffrais doucement, je ne voyais plus d'issue mais à cet instant, j'étais pourtant bien loin d'imaginer le cauchemar qui allait nous emporter dans un tourbillon de malheur !

                                                              *

J'arrivais à mon bureau comme chaque matin depuis des années lorsque j'ai vu Eric, blanc comme un linge, venir à ma rencontre.

- Dan, c'est terrible… Za…

- Quoi Za ? !… Je lui ai hurlé à la figure.

- Ne compliques pas les choses, s'il te plait !

- Eh bien, c'est bien moi que tu attendais, alors parle à présent ! J'ai continué, livide.

- Il y a eu un coup de fil pour toi, c'était la Police… Za s'est jetée sous un train, voilà ! Il a fini par lâcher.

- Oh putain, c'est pas vrai !… Pas ça !… J'ai haleté.

- Dan ? !

- Je t'en prie, laisses-moi, j'ai besoin d'être seul…

- Ils devaient ramener le corps à l'hôpital Senterne, a rajouté Eric.

- Ah oui, le corps !… Bordel, tu peux pas dire Za !… Je vais devenir fou ! J'ai crié.

On m'aurait arraché les deux bras que je n'aurais pas eu plus mal ! J'ai marché d'un pas soutenu jusqu'à la voiture… Ce n'était pas possible !… J'entendais encore le souffle de Za et la douceur de ses lèvres lorsqu'elle m'avait embrassé le matin même avant de partir… Comment avais-je pu la laisser sans être capable de sentir son désespoir infini !… Je n'étais qu'un salle con ! Ai-je pensé, les yeux rougis par trop de larmes qui ne voulaient pas sortir…

J'ai fait le trajet jusqu'à l'hôpital dans un état second. J'ai filé jusqu'à l'accueil, hurlé tout le chagrin qui me dévorait à la femme qui s'y trouvait. J'ai couru jusqu'au dépositoire… Je pleurais à présent à chaudes larmes…

- Je veux la voir, de suite ! J'ai dit au type qui était caché derrière le comptoir.

- Je suis désolé, elle n'est pas visible, les lésions sont trop profondes ! M'a t-il dit, maîtrisant parfaitement son sale boulot.

- Alors qu'est-ce que je fais si je ne peux même pas l'embrasser et la serrer dans mes bras une dernière fois, j'ai dit, sanglotant.

- Je présume que vous êtes son mari ?…

- Oui !… Oui, c'est ça !… Qu'est-ce que ça change pour vous ? !…

- Dans ce cas je vais vous dire quelles sont les démarches administratives à suivre.

Je me suis écroulé, mon cœur roulant à terre comme un vulgaire noyau vide.

Je me suis réveillé quelques minutes après. Deux infirmières se tenaient près de moi.

- Vous avez fait un petit malaise, c'est normal.

- Oui, c'est normal ! J'ai dit avec un mauvais rictus. Il faut que je retourne auprès de Za… Je peux pas la laisser là bas, seule !…

- Ecoutez, il faut à présent vous reposer…

- Ma tête va exploser !… Pourquoi ? ! … Pourquoi elle a fait ça ? !… J'ai trouvé la force de crier.

- Je vais vous faire une injection afin que vous arriviez à vous détendre un peu.

- Mais j'ai besoin de rien !… Laissez-moi !

En repassant par le hall, je me suis arrêté pour boire trois cafés. A la maison, j'ai descendu ce qui restait de la bouteille de whisky, j'ai mis un peu de musique classique – Za adorait ça – et j'ai fermé les yeux, douloureusement.

Je savais que Za avait acheté dernièrement des somnifères, je suis allé vers l'armoire à pharmacie pour en avaler deux. C'était ma bouée de sauvetage, je ne pouvais pas imaginer traverser sans aide la longue nuit qui m'attendait. J'ai pu dormir quelques heures, c'était inespéré !

                                                             *

L'enterrement.

La mère de Za s'était occupée de tout. Il restait une place dans le caveau familial, à coté de son père. Son père qui en guise de guide et de réconfort pour sa fille s'était pendu dans le garage de la maison familiale quelques années plus tôt… Sa mère, qui avait brillé par son absence après cet événement, était revenue près de sa fille, mais il était trop tard pour rattraper le temps perdu !… Cependant sa présence m'a soulagé, j'avais bien été incapable de faire quoi que ce soit depuis que Za s'était envolée, si ce n'est laisser rouler les larmes le long de mes joues…

Il y avait Josiane, Pierre, Brigitte, Paul, et tous ceux qui avaient aimés Za, ou cru l'aimer !...

Ce départ définitif et irrémédiable, lorsque j'ai vu le cercueil disparaître dans ce trou immonde, a fini de m'envoyer en enfer !… Cette image m'était insupportable !

J'ai crié une dernière fois son nom, tendant désespérément et inutilement mes mains vers cette putain de boite qui enfermait Za à tout jamais. Mes yeux n'étaient plus que deux fentes rougies par trop de chagrin, je n'entendais plus rien, juste le cri du vent qui sifflait dans mes oreilles et la voix douce de Za qui cognait dans ma tête. J'ai pensé que je devenais fou ! Je ne sentais plus mon corps malgré le froid qui avait enveloppé insidieusement cette journée grise et humide.

Lorsque je me suis retourné, abandonnant Za, lâche et coupable, j'ai vu Laurie qui est venue se plaquer contre moi. Nous nous sommes serrés à nous faire mal, mêlant ainsi nos larmes, notre désespoir infini et nos corps définitivement amputés dans cette fin d'après-midi infâme !…

Nous nous sommes éloignés, sans rien dire.

Josiane m'a embrassé, elle aussi était terrassée par la disparition soudaine et violente de Za. Mais aucun mot ne pouvait sortir de ma bouche.

Pierre, Brigitte et les autres ont suivi, avec des mots qui se voulaient réconfortants mais toujours maladroits et inutiles dans un moment pareil. Paul m'a tendu la main, je la lui ai serré, juste pour Za, uniquement pour Za !…

- Je passerai ce soir, m'a dit Laurie, ravalant ses sanglots et sans me donner le temps de refuser.

- Comme tu voudras, je lui ai répondu d'une voix rauque et presque inaudible… On est foutu ! J'ai rajouté dans un souffle pâle…

Je suis rentré, me traînant comme un automate, conduisant si lentement que les gens avaient le temps de traverser devant moi en me souriant sans que je n'aie une seule fois à utiliser la pédale de frein.

Tous ces gens semblaient visiblement heureux et légers, et ce bonheur qu'ils me renvoyaient me donnait la nausée. J'étais au fond du gouffre. Comment pouvaient-ils goûter au bonheur alors qu'un ange bleu s'était arraché à cette foutue vie le matin même !…

Je percevais tout ce qui m'entourait comme une agression qui ne cesserait qu'une fois la porte de la maison claquée derrière moi.

Je suis resté de longues minutes dans l'obscurité, totalement inerte… Toute la tension de la journée me tétanisait et m'oppressait à présent.

La sonnerie ne m'a même pas fait sursauter, j'étais absent…

Laurie est entrée et elle est venue s'asseoir à mes côtés.

- J'arrive pas à y croire, elle m'a dit.

- Houai, c'est certainement pour ça que l'on est encore debout…

- Pourquoi on n'a rien fait ?

- Je sais pas Laurie !… Ce matin encore… Je n'ai pas pu terminer, j'ai éclaté en sanglots.

Laurie s'est levée pour aller à la cuisine jeter deux œufs dans une poêle afin que je mange un peu.

J'avais la gorge sèche et j'ai mis un temps incroyable pour tout avaler. C'était comme ça, quelles que soient les douleurs les plus aiguës que l'on puisse ressentir, la vie reprenait toujours le dessus même si l'on devait continuer sur les genoux, ai-je pensé avec fatalité !

                                                              *

Plusieurs semaines ont passé. Le vide énorme que je ressentais me dévorait. Je luttais jours et nuits, je n'arrivais toujours pas à accepter ce qui était irrémédiable, ce manque intolérable.

Je savais pourtant qu'il faudrait bien que je finisse par faire le deuil de Za…

Laurie habitait à la maison mais nos rapports n'avaient pas pour autant changé. Nous étions le plus souvent chacun de notre coté, perdus, seuls avec Za. Nous vivions ainsi reclus tous les deux, figés dans l'horreur qui nous avait frappé.

Laurie avait trouvé un boulot de serveuse.

Quant à moi, malgré la volonté que j'y mettais, je n'arrivais pas à fixer mon attention plus de cinq minutes et mon travail s'en ressentait. J'étais pris régulièrement de violents vertiges, résultat du mélange d'alcool et de médicaments que j'ingurgitais pour ne pas sombrer davantage. J'en avais parlé à Eric qui avait parfaitement compris. Eric était le directeur de la société dans laquelle je travaillais, on se connaissait depuis de longues années. J'avais fait parti des premiers embauchés, ça créait des liens privilégiés, forcément. Il me savait assez tourmenté pour ne pas en rajouter, je l'en remerciait. J'occupais un bureau à coté du sien, simplement séparé par une grande vitre. Il n'hésitait pas de temps en temps à venir discuter pour s'assurer que tout se passait bien. Eric était quelqu'un de bien et il m'en donnait le preuve, une fois de plus…

                                                             *

Laurie me laissait toujours un plat à réchauffer lorsqu'elle rentrait plus tard. Après avoir mangé, j'allais m'effondrer sur le canapé, face au feu qui crépitait dans la cheminée. Mon corps restait désespérément creux, vide de toute envie, mais aussi de tout désir…

Mes yeux étaient soulignés de superbes cernes et chaque matin je pouvais compter mes heures de sommeil sur les doigts d'une main malgré les somnifères que je continuais de prendre.

Le sentiment de culpabilité que je ressentais était immense, je n'arrivais pas à le faire taire.

J'ai aperçu à travers la fenêtre les premiers flocons de neige. Les premiers flocons que Za ne verrait pas… Je me suis levé pour aller voir. Lorsque j'ai ouvert la porte, le froid m'a saisi. Le jardin n'était déjà plus qu'une surface lisse et blanche. Oui, le temps passait et balayait froidement nos vies, soulignant le coté éphémère de notre existence, quoi que l'on fasse. On s'attachait à nos misérables vies comme à autant de diamants, et pourtant !… C'est notre égoïsme imbécile qui nous faisait pleurer ceux qui nous quittaient alors que c'était peut-être le seul moyen, en partant, de trouver la paix après laquelle nous courrions tous.

J'ai marché un peu dans le jardin pour entendre le bruit de la neige craquer sous mes pieds. J'ai fais demi-tour, laissant derrière moi des traces de pas qui brisaient l'harmonie de ce parterre maculé de blanc.

J'ai refermé doucement la porte, pour ne pas risquer de briser les ailes d'un ange qui pouvait passer dans mon dos…

                                                              *

En fait, j'avais peur de sourire, peur d'être heureux par crainte de risquer d'oublier Za et de la trahir… De me trahir !… On se raccroche parfois à une douleur pour se rassurer… Je m'en voulais lorsque je passais un moment sans penser à Za. "  Tu l'oublies déjà ?  " Pensais-je alors  … Et je refusais aussi sec toute pensée positive. Pourtant j'allais bien finir par accepter l'idée que prétendre de nouveau au bonheur n'était pas la négation de Za. Il fallait recommencer à vivre, rire et pleurer, mais différemment, simplement, avec ce manque immense… Même si la peine et la douleur s'atténuait, je savais que Za serait toujours à mes côtés, m'apportant un bonheur réconfortant, bien que définitivement incomplet.

Laurie semblait déjà avoir compris tout cela et elle ne cherchait plus à cacher ses sourires. C'est elle qui avait raison.

J'ai commencé doucement à répondre à ses sourires.

- Arrête de te juger, Dan, m'a dit Laurie. La souffrance qui est en toi ne doit pas t'empêcher d'être heureux. Tu n'as pas à en avoir honte. Ta sincérité, c'est ça l'essentiel, et peu importe ce que peuvent en penser les autres. On n'a pas toujours besoin de pleurer pour être malheureux… C'est au plus profond de soit que ça se passe… Tu n'oublis pas Za aujourd'hui parce que tu arrives de nouveau à rire.

- Tu as raison… Za aurait été la première à me secouer, je sais ! J'ai répondu.

Il était tard mais on a pris la voiture pour aller faire un tour en ville. Les guirlandes avaient fleuri dans les vitrines, Noël approchait… Le premier Noël que Za ne verrait pas…

Nous avons marché un moment, on n'avait pas envie d'aller s'enfermer dans un café, même si dehors le froid sec n'incitait pas à priori à la promenade.

Laurie m'a parlé un peu de son travail. L'ambiance n'était pas terrible mais durant quelques heures chaque jour, elle arrivait à penser à autre chose, c'était là l'essentiel.

On est rentré doucement. Nous avons chacun regagné nos chambres, mais ce soir là, j'ai trouvé mon lit encore plus froid que d'habitude…

*

Laurie avait un tempérament gai et optimisme. Je commençais à la regarder différemment, sans ce dégoût que je m'inspirais il y a peu lorsque je me surprenais à la trouver belle et désirable.

J'attendais à présent avec impatience de la retrouver le soir.

Je lui ai rapporté un jour un énorme bouquet de fleurs qui lui a arraché des larmes.

- Je suis désolé, j'ai dit.

- Non, ça me fait profondément plaisir… c'est la première fois que l'on m'offre des fleurs !… 

Pour me remercier, elle a préparé un repas succulent que l'on a accompagné d'un très bon vin.

J'avais porté la table de la cuisine au salon, on a mangé devant la cheminée.

- Tu devrais demander à l'agence si l'on ne pourrait pas faire quelques travaux dans la maison, qu'est-ce que tu en penses ? M'a demandé Laurie.

J'ai dodeliné de la tête.

- C'est une bonne idée… C'est vrai qu'au point de vue décoration, il y aurait de quoi faire.

- Au moins changer toutes les tapisseries… Elle a rajouté.

- Je m'en occupe. Je leur téléphonerai demain.

J'ai appelé du boulot dans la matinée. Comme je le pensais, il n'y avait aucun problème. J'ai pensé en raccrochant à la joie de Laurie lorsque j'allais lui dire que c'était d'accord. Elle n'allait certainement pas traîner pour que l'on aille faire le tour des magasins spécialisés afin de commencer les travaux le plus rapidement possible.

Un bout de soleil est venu s'accrocher au rebord de la fenêtre de mon bureau. Je me suis levé pour aller allumer la cafetière jaune qui me tenait compagnie depuis de longues semaines. Une odeur forte de café a empli la pièce en quelques minutes.

                                                              *

Nous avons attaqué le chantier le samedi suivant. Laurie était très excitée. Nous avions acheté la veille tout ce qu'il fallait. Nous avions choisi des tapisseries blanches pour toutes les pièces.

- Za adorait les intérieurs blancs, j'avais dit.

Laurie avait acquiescé.

On a attaqué par le salon. En fin de journée, la pièce était terminée. Nous avons souri du résultat qui était parfait.

Pour la peine, on s'est offert une sortie au restaurant, mais nous sommes rentrés assez tôt pour se jeter au lit, on n'en pouvait plus…

Le lendemain, nous devions nous attaquer aux chambres. Nous étions toujours motivés et pleins d'entrain.

Nous avons juste pris le temps d'avaler un sandwich le midi avant de nous y remettre.

Laurie avait mis une vieille salopette… Elle était adorable.

Le soir, les deux chambres étaient tapissées. On s'est collé devant la cheminée pour souffler un peu et se détendre. J'avais mis une belle bûche que les flemmes léchaient généreusement, donnant de la chaleur dans tout le salon.

Je regardais Laurie. J'avais envie de la serrer contre moi, mais je n'ai pas osé…

J'ai mis un peu de musique.

Laurie avait un regard doux qui me réchauffait le cœur. J'ai pensé à Za et un long frisson a parcouru tout mon corps, me laissant le souffle court.

- Si tu veux que l'on fasse chambre commune… C'est comme tu veux, j'ai dit.

- Je sais ! A répondu Laurie en posant un doigt sur mes lèvres pour que je ne rajoute rien.

On a continué la soirée en buvant un peu et en grignotant quelques tapas que Laurie avait trouvé le temps de préparer.

J'étais dans ma chambre, Laurie était encore dans la salle de bain.

Je commençais à m'endormir lorsque la porte s'est ouverte, Laurie tenait son oreiller contre sa poitrine.

- Ta proposition tient toujours ? Elle a lancé.

- Je t'attendais, j'ai menti, le cœur serré et cachant ma surprise.

Elle est venue se serrer dans mon dos et s'est endormie aussi tôt.

Lorsque j'ai ouvert les yeux le lendemain, j'ai d'abord sursauté en m'apercevant que je n'étais pas seul dans mon lit. Puis je me suis retourné et j'ai vu Laurie qui dormait comme un bébé. J'ai délicatement embrassé sa joue toute chaude de sommeil et je me suis levé sans la réveiller.

Pendant que je me douchais, j'ai pensé que j'avais passé une nuit plus calme que d'habitude, la présence de Laurie près de moi devait y être pour quelque chose.

Avant de partir, j'ai jeté un coup d'œil dans le salon pour apprécier le travail que l'on avait fait. La tapisserie blanche semblait avoir repoussé chaque murs de quelques centimètres tant la pièce paraissait agrandie, baignant dans une clarté nouvelle que les meubles embellissaient plus encore en accrochant de-ci, de-là, des reflets vifs et dorés que je ne leur connaissais pas. Laurie avait eu du nez en décidant de jeter aux oubliettes les vieilles tapisseries…

Un rire nerveux m'a échappé alors que je venais de sortir au grand froid, un flocon gros et lourd est venu choir sur ma tête, mouillant sans prévenir mes cheveux. J'ai allumé une cigarette dont la fumée diffuse est montée vers les arbres grossièrement recouverts d'un voile blanc.

Alors que le bruit du moteur déchirait le calme du petit matin, le visage de Laurie est venu danser sous mes yeux, me donnant l'impression que du lait tiède coulait en moi…

Le soleil commençait à peine à s'étirer dans un ciel blanc et nébuleux.

J'ai accéléré doucement jusqu'au portail. L'avant de la voiture a glissé mollement les premiers mètres mais j'ai pu finalement arriver sans encombre et à l'heure au travail.

                                                            *

Nous avions décidé avec Laurie d'accepter l'invitation de Josi qui nous avaient proposé de passer le réveillon à la montagne avec la bande habituelle d'amis.

La station était plutôt mignonne et le panorama découvrait de hauts pics puissants et anguleux qui allaient se perdre dans le ciel…

Les pistes filaient à quelques mètres des fenêtres de notre chambre et le premier café n'était guère plus loin, en partant à l'opposé, en haut d'une légère pente.

C'est avec un réel plaisir que j'ai revu tout le monde. J'ai cependant été un peu refroidi lorsque j'ai aperçu Chloé… Paul ne devait pas être bien loin, j'ai pensé amèrement. Mais j'ai décidé de ne pas gâcher le séjour par la faute de ce salop qui n'en valait vraiment pas la peine.

- Comment ça va, toi ? M'a demandé Pierre.

- C'est encore trop douloureux lorsque j'y pense, j'ai encore de sales moment à passer, c'est comme ça !… Mais j'ai compris depuis peu qu'il fallait que j'arrête de me lamenter et de me complaire dans mon malheur… Ca ne fera pas revenir Za pour autant !…

- Laurie vit avec toi ? M'a-t-il questionné avec un air de reproche et d'incompréhension, que j'ai perçu sans mal.

- Oui, elle vit à la maison, on dort dans le même lit, mais rassures- toi, on ne couche pas ensemble !… Je lui ai envoyé.

- Tu es bête… C'est pas ce que je te demandais… Il a répondu, assez embêté.

- Je crois pas… Alors je préfère te le dire pour que tout soit clair. Mais saches que je serais le plus heureux, tu entends, le plus heureux si Za était dans mes bras aujourd'hui… J'ai rajouté d'une voix sèche.

- Excuses- moi Dan !

- C'est pas bien grave… Moi, j'ai pas envie de crever, Pierre, alors je me bats et si j'ai envie de Laurie, je vois pas ce qu'il y a de mal… Quel est le rapport avec Za ? !… Ah oui, parce que ce n'est pas très convenable !… Mais j'en ai rien à foutre de ça, personne n'est là pour souffrir à ma place !… J'ai rajouté en haussant perceptiblement le ton.

- Ne t'énerves pas, Dan, je t'assure, je crois avoir bien compris ce que tu m'as dit… C'est moi qui suis con…

- Houai, je sais pas… Mais c'est déjà assez dur pour ne pas avoir en plus à se justifier aux yeux des autres, non ? ! … J'ai conclu.

Josiane, Chloé, Pierre et Paul ont occupé leur après-midi à skier.

Ne pratiquant pas ce formidable sport, je suis allé, avec Laurie et Brigitte, m'étendre sous un soleil cru, à la terrasse du café, sirotant pour ma part un vin chaud.

- Ils ont de la chance de trouver une aussi belle neige si tôt dans la saison, j'ai dit.

- Ils vont se régaler, a ajouté Brigitte.

Un ciel bleu et pur flottait au-dessus de nos têtes. Je me suis passé de la crème sur le nez et j'ai tendu le tube à Laurie qui en a fait de même.

Mes yeux se sont rougis et des larmes sont venues mouiller le regard de Laurie lorsque Brigitte a évoqué Za.

- Parlons plutôt de ce bébé que tu portes et qui t'illumine, j'ai suggéré pour dissiper la peine qui m'envahissait.

- Ca se passe bien pour l'instant, même si Pierre souligne parfois que je mange trop !…

- Ah ! Si seulement ils étaient à notre place, a dit Laurie en souriant.

Nous nous sommes tous retrouvés au chalet alors qu'un air glacé commençait à tomber sur la station qui s'illuminait petit à petit comme un sapin de Noël.

La raclette a été appréciée par tous. Le vin coulait et réchauffait nos gosiers.

- Nous allons nous marier, a lancé Paul qui a regardé amoureusement Chloé.

- C'est génial, a dit Josiane.

- C'est une excellente nouvelle, ont rajouté en cœur Pierre et Brigitte.

- Ne comptes pas sur moi ! J'ai fini.

- Mais pourquoi Dan ? A insisté Paul.

- N'en parlons plus ! J'ai dit.

Paul s'est éteint d'un coup, malgré les questions qui fusaient sur la date et le lieu de leur futur mariage. Chloé m'a jeté un regard noir que j'ai envoyé valser aussi sec. Elle ne connaissait sans doute pas toute l'histoire, je lui ai pardonné son attitude.

Nous avons ensuite enchaîné sur le travail, rien de bien intéressant au demeurant.

J'ai posé sur la table la bouteille de digestif pour essayer de relancer cette soirée qui partait de travers, à mon goût. Et puis j'avais envie de me retrouver enfin seul avec Laurie.

                                                            *

Le lendemain nous avons traîné au lit avec Laurie. C'était le 31 décembre, pas envie de se lever. Josi a trouvé le moyen de venir taper à la porte. Avec ses amis, Josi ne mettait aucune barrière, au diable l'intimité de chacun, tout le monde devait se rendre disponible pour le groupe, c'était sa devise… Et parfois, ça me faisait vraiment chier !

- Debout les amoureux, elle a lancé de derrière la porte. On vous attend pour aller faire une promenade en raquettes.

J'ai sauté du lit et j'ai ouvert furieusement la porte.

- Salut ! J'ai aboyé.

Puis j'ai attrapé Josi par le bras pour l'entraîner plus loin dans le couloir.

- Les amoureux ?… C'est quoi cette connerie ?

- J'ai dit ça sans réfléchir…

- Alors réfléchi davantage la prochaine fois !… Putain, t'as la mémoire courte, merde !

- Attends, vous dormez dans la même chambre…

- Stop ! Je l'ai coupé. C'est pas ton problème ! Mais bon, pour l'amour, saches que le miens est ailleurs, définitivement !… Enterré !

- Bon, alors, on vous attend ? Elle a dit pour mettre un terme à la discussion.

Josi avait horreur des affrontements. Elle préférait l'évitement, quitte à passer à coté des discussions profondes et essentielles, pourtant on ne pouvait pas être continuellement léger et insouciant… Josi était une sorte de papillon qui aimait battre des ailes dans la lumière, l'ombre, ce n'était pas son truc.

- Vous partez quand ? Je l'ai questionnée.

- Quand vous serez prêts !

- On arrive…

Elle a souri, assurée de ce qu'elle voulait… Notre présence.

- On peut partir si ça te pèse trop, a suggéré Laurie lorsque je suis revenu dans la chambre.

- Ici ou ailleurs, ce sera pareil… En fait je me suis trompé en venant ici… Ca m'a plu trois minutes de les revoir, mais bon… Et puis si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais été plus sélectif. Le problème, c'est que tu dois aussi te farcir des personnes qui te gonflent !…

- Mes amis m'ont toujours plus relancée que je ne l'ai fait… Certains ont disparu dans la nature, je n'ai pas de regrets… Pour moi ça reste des tranches de vie, des souvenirs très forts, mais je n'ai pas envie de jouer aux anciens combattants, tu vois…

- Moi, ce sont plutôt les contraintes qui me pèsent…

- Elle est venue pourquoi, Josi ?

- Ah oui, ce matin, c'est sortie en raquettes, j'ai rigolé.

Laurie a éclaté de rire.

- Et sinon, au programme, il y a quoi d'autre ?

- Rien !

- Alors si on a le choix ! Elle a dit en rigolant de plus belle.

Douchés et habillés, nous sommes descendus petit déjeuner. Les autres attendaient joyeusement sur le pas de la porte.

Nous avons marché dans la poudreuse trois bonnes heures, il faisait soleil, la neige craquait sous nos pas.

A midi nous avons fait une halte dans une auberge pour manger, nous étions fatigués mais affamés.

Rires, bonne humeur, volonté commune d'un bonheur de façade, pour le coup c'était réussi. Les problèmes de chacun parfaitement mis de coté, c'était une charmante réunion entre amis… Pour ma part, je goûtais peu à cette gaieté, pas que je la repousse férocement, simplement parce qu'il m'était impossible de m'y immerger. Za n'était plus là !… Alors Paul m'irritait plus encore, les rires m'agaçaient, l'indifférence ambiante me faisait vomir.

- Dans quelques heures la nouvelle année ! A clamé Paul comme un con.

Josi a fait la grimace, j'ai fermé ma gueule.

Le réveillon.

Un peu avant minuit, nous nous étions mis discrètement à l'écart avec Laurie pour éviter ces putains de vœux. On s'est juste serré un peu plus fort l'un contre l'autre, sans rien dire.

Tout le monde s'embrassait dans la pièce d'à coté, simplement parce que la nouvelle année était là, autant de personnes qui se connaissaient seulement depuis quelques heures et qui explosaient de joie tout à coup, pour fêter on ne sait quoi au juste !… L'espoir d'une nouvelle année ?… Quelle connerie !

Mon cœur grondait et appelait Za, je lui ai laissé quelques minutes de répit…

Laurie a posé alors doucement ses lèvres brûlantes sur les miennes.

- Pour elle, elle a dit dans mon oreille.

- Je m'écœure d'être encore là, vivant ! J'ai répondu.

- La maladie la plus insidieuse qui soit, c'est la vie !…

- Oui, éduqués à endurer le pire sans rechigner !… Tu parles d'un chemin de croix !

Je n'ai pu échapper aux embrassades, les amis bien entendus, mais aussi des inconnus qui venaient vers moi pour m'assurer de leurs meilleurs vœux… Stupide tradition !… Pathétique !....

J'ai préféré m'éclipser discrètement, j'ai enfilé mon manteau et je suis sorti de la salle. J'entendais des cris aux quatre coin de la station… S'il suffisait aux gens d'une simple date, d'une foutue heure pour se sentir pousser des ailes !… Il y aurait forcément comme chaque année un 1er janvier difficile, fini la fête, retour à la réalité !… Peut-être cela faisait-il partie des exutoires nécessaires à chacun pour mieux supporter le quotidien… Ce n'était pas mon cas !… Za non plus n'avait jamais aimé ces festivités programmées… Faire la fête, c'était un état d'esprit, pas une obligation… Et puis tous ces gens malades d'avoir trop bu, qui dégueulaient huîtres et fois gras alors que d'autres crevaient de fin, quelque part… Oui, pathétique ! C'était bien pour moi le mot qui caractérisait le mieux ce moment là, la nouvelle année !… Une nouvelle année sans Za… Plusieurs nouvelles années sans Za… Impensable, insoutenable !

Laurie avait remarqué mon absence, elle m'a rejoint dans la nuit bruyante et illuminée par de nombreuses guirlandes accrochées un peu partout.

- C'est dur, elle a dit.

- Intolérable ! J'ai répondu.

- On s'accrochera jusqu'à quand ?

- J'en sais rien, pour l'instant, j'ai lâché prise.

                                                           *

Le jour s'est levé insidieusement. La bande d'ami avait du plomb dans l'aile, l'heure n'était plus à la franche rigolade. Ceux qui étaient levés prenaient un énième café dans la salle de déjeuner de l'hôtel qui pour l'occasion avait rallongé la plage horaire pour le service matinal… Les autres étaient encore au lit, dormaient ou bien devaient certainement batailler pour ouvrir simplement un œil !… Avec Marine nous avions continué à discuter ensemble le reste de la nuit, sans exagérer sur l'alcool, juste ce qu'il fallait pour arriver au petit matin sans s'en rendre compte. Nous avions d'ailleurs décidé de ne pas nous coucher, nous avions plié bagages, prêts à partir.

Nous nous sommes assis à la table de Brigitte et Josi. Un peu plus loin, j'ai cru reconnaître un des types qui m'avait tapé sur l'épaule la veille en me souhaitant la bonne année. Quelques heures plus tard, 1er janvier oblige, pas un regard, pas un bonjour, l'indifférence collective avait repris ses droits !…

- Pierre n'est pas encore levé ! A souri nerveusement Brigitte. Il ne voulait pas partir se coucher alors qu'il ne tenait plus debout… Mais une fois allongé, il n'y avait plus personne, il ronflait au bout de deux minutes !

- Le réveillon, c'est toujours un peu particulier… Et puis l'an prochain, il sera papa, concrètement… J'ai répondu… Peut-être qu'il s'est lâché plus que d'habitude…

- J'espère que ça va le calmer d'être père, a soufflé Brigitte.

- Tu l'aimes aussi pour ses excès, non ?

- Franchement, il y a d'autres moments où je l'aime davantage…

- Et vous, on ne vous a pas trop vus, a noté Josi.

- On est sortis discuter dehors…

- Ah ? !

- Ca a posé un problème ? J'ai répondu, agacé.

- Non, non !… Elle s'est défendue. J'ai trouvé la soirée sympa…

- Tous ces gens qui font la fête une fois pas an, c'est particulier… Tu vois, le genre ambiance salle des fêtes !…

- C'est sûr, elle a reconnu… Ce ne sont pas des habitués de la nuit, ils n'ont pas le même état d'esprit, ils ne savent pas forcément gérer l'alcool et la fête de la même manière…

- Je suis d'accord avec toi… La nuit, c'est un état d'esprit… La plupart des gens sont bruyants et vulgaires le jour du réveillon… Parce que justement ils ne connaissent pas les codes de la nuit…

Je me suis servi une grande tasse de café, j'ai mis deux sucres.

- Vous rentrez quand ? A demandé Josi.

J'ai jeté un œil à ma montre.

- Dans une heure…

Elle a fait la grimace, comme à chaque fois que quelqu'un de son clan était sur le départ.

- Vous ne voulez pas rester un peu plus ? Elle a suggéré.

- On est tous à la ramasse, à quoi bon prolonger ? J'ai souri. Et puis ça m'emmerdera plus encore de prendre la route plus tard.

- Comme vous voulez, elle a dit, vaincue.

Brigitte se caressait le ventre, comme pour envoyer des ondes positives au bébé qui poussait en elle.

- Je compte sur vous pour me prévenir dès que le bébé sera là, j'ai dit la regardant.

Laurie a demandé à Brigitte si elle pouvait poser une main sur son ventre, je me suis levé et je suis sorti fumer une cigarette au grand air. J'ai pensé douloureusement a l'enfant que Za aurait pu porter un jour dans son ventre… Il aurait eu de la chance d'avoir une mère comme elle… Za en avait toujours douté, j'en restais persuadé, au-delà cette putain de vie qu'elle avait décidé de quitter.

Le soleil était rasant au-dessus des cimes encore brumeuses, j'aurais bien aimé crever à cet instant, un truc cardiaque par exemple, couic !… Oui, j'aurais trouvé ça parfait !…

Josi est arrivée prés de moi. Je ne souhaitais pas particulièrement sa présence mais comme à son habitude elle ne s'était posé aucun interdit, les amis se devaient d'être disponibles, non ? !… J'ai accepté son postulat, contraint que j'étais…

- Dan ?

- Oui, c'est bien moi, j'ai souri.

- Tu as du feu ? Elle a demandé en portant une cigarette à sa bouche.

- J'imagine que tu as quelque chose à me dire ?…

Elle a avalé une longue bouffée de tabac blond.

- Tu sais, Marine a eu une super promotion dans la boite… Elle travaille maintenant en Allemagne.

- Je suis content pour elle…

Josi a regardé sa cigarette fixement, c'était une fille directe, surtout avec les amis, et j'ai trouvé qu'elle tergiversait pas mal.

J'avais été surpris qu'elle me reparle de Marine mais ma réaction n'avait pu que la rassurer… J'ai gardé le silence et continué à fumer tranquillement… J'attendais la suite, puisque visiblement elle avait autre chose à me dire.

- Elle va passer me voir la semaine prochaine… Elle m'a dit qu'elle aimerait te revoir…

- Et tu lui as dit ?

- Que ça pourrait se faire… Enfin, je lui ai dit " peut-être "… Elle s'est défendue.

- T'as vraiment parfois des foutues idées !

La couche de neige était épaisse, les premiers flocons de l'année avaient effacé ceux de l'année précédente… J'ai fait un pas pour écouter la neige craquer sous le poids de mon corps.

- Alors ? Tu penses passer lorsqu'elle sera là ?

- Tu m'as filé une première fois Marine entre les pattes… Tu te souviens du résultat ?

- Et si c'était différent ?

- Différent ? ! J'ai ricané.

- Je crois que Marine a réfléchi, elle a envie de t'aider…

- Je n'ai pas besoin de son aide !

- Tu es dur !

- Ecoute, après la séparation avec Za, si je suis revenu avec elle, c'est parce que Za était la femme de ma vie… Ce n'est pas le cas de Marine… J'ai pas envie de me battre pour elle, j'espère simplement arriver à apprivoiser mon mal-être, loin de Za.

- Et si tu te trompais… C'est une fille vraiment bien.

- Marine est certainement une personne méritante dans son boulot… Mais sortie de ses compétences professionnelles, que j'ignore mais qui doivent être réelles, je ne la trouve pas très intéressante…

- Elle gagne à être connue…

- Elle met la valeur travail au-dessus de tout, sa réussite professionnelle la remplie de certitudes… Moi, je crois que vivre sur cette terre est un peu plus complexe que ça… Je la trouve trop manichéenne, je préfère les personnes qui doutent davantage…

- Comme Za ? A asséné Josi.

- Je n'ai jamais dit que j'étais le type idéal pour Za ! Je me suis emporté. Tu crois pas que je m'en veux ? !

- Tu m'as mal comprise… Je voulais dire que Marine était quelqu'un de plus stable…

Je la laissais doucement s'enfoncer. Un chien est passé devant nous, il a pissé puis il est reparti en trottant, laissant derrière lui une tache superbement jaune sur la neige parfaitement blanche.

- Peut-être que tu devrais essayer à nouveau, avec elle.

- C'est terrible, quand tu as une idée, la faculté que tu as à ne pas entendre les autres !

- Dan !

- Marine c'est le passé, fini, terminé.

- Alors tu ne veux plus la revoir ? ! Elle a dit avec déception.

- Avec Marine, nous n'avons jamais eu une relation de couple… Elle a cru qu'elle serait plus forte que la douleur que je ressentais alors, elle a mal jugé à quel point Za comptait pour moi…

- Elle s'en veut.

- C'est son problème… Elle avait jugé ma décision comme un signe de faiblesse !… Quelle connerie !

- J'ai du mal à te comprendre !

- Je vois !…

- Marine…

- Stop ! Je l'ai coupé. Tu es sans doute un peu trop respectueuse du poste qu'occupe Marine dans ta boite…

- Marine est une battante, a presque clamé Josi.

- Attends, mais tu en connais beaucoup de personnes qui ne se battent pas dans la vie ? !… Socialement, c'est mieux de trouver son salut en se battant dans son boulot, mais il y a plein de façon de se battre, bordel ?… Tu crois vraiment qu'une femme de ménage se bat moins ? !

- Marine a le mérite d'y arriver…

- Arriver à quoi ? A avoir une grosse paie en fin de mois ? Putain, quelle réussite ! ! Tant mieux pour elle si ça lui permet d'être bien dans sa tête, mais ça s'arrête là, non ? !

- Mon éducation me pousse à respecter des gens comme Marine.

- D'accord… Pour moi, les valeurs d'un individu ne se limitent pas au fait qu'il réussisse professionnellement… C'est seulement un choix… Gagner plus qu'un autre n'a pas pour moi une valeur humaine définitive… A chacun sa façon de se battre… Certains en travaillant douze heures par jours, d'autres en faisant des constructions miniatures en allumettes ? ! Qui a le plus de mérite, qui a raison ? L'important c'est d'être relativement bien dans sa tête pour affronter les vagues de l'existence…

- Tu as sans doute raison, mais j'attache de l'importance à la réussite professionnelle, c'est comme ça…

- On est différent, Josi… Il y a des cons dans toutes les couches sociales, mais il y a aussi des gens bien dans ces mêmes couches sociales… Tu ramènes tout à une fiche de salaire, je trouve ça vachement réducteur !

- Marine travaille dur pour y arriver, c'est tout à son honneur, non ?

- Elle devrait peut-être oublier parfois son travail et s'intéresser davantage à sa vie privée !… Mais bon, si elle y trouve son intérêt !… En tout cas, je n'ai pas envie d'être le faire valoir de sa vie privée… Une relation de couple, c'est autre chose pour moi… Tiens, discuter, échanger, c'est déjà pas mal dans un couple… Marine n'écoute pas… Elle bouge son cul et elle croit que ça suffit pour tenir un mec…

- Elle dit que tu as beaucoup de qualités…

- J'aurais aimé en avoir assez pour montrer à Za que ça valait le coup de rester en vie !

- Elle te manque ? ! Elle a admis avec une naïveté terrible.

L'éternité est une échelle bien trop grande pour nous, humains… On fait semblant de l'admettre, mais en fait on ne peut pas réaliser l'énormité que va représenter dans la durée la perte d'un être cher… Le temps n'efface rien, il nous rend simplement plus fatalistes… Bien entendu, Josi n'était pas en mesure d'entendre ce genre de discours.

- Elle est à présent la négation de mon existence autant qu'elle la nourrie !…

- Je suis désolée pour Marine.

- J'ai toujours détesté les calculateurs, les gens qui agissent seulement par intérêt, j'aime l'honnêteté… C'est pour ça que je t'aime, Josi.

- Merci.

- Oubli Marine, tu trouveras bien une excuse qui ne froissera pas son ego…

- Elle doute si peu !

- Sa force, c'est d'arriver à convaincre des personnes comme toi qu'elle ne doute pas… Je crois bien qu'elle ne s'en sort pas mieux que les autres !

- Ce n'est pas l'impression qu'elle donne.

- Justement !… Elle maîtrise relativement bien son image… Avec moi, ça ne marche pas, j'ai du mal à m'en tenir seulement à l'image que renvoient d'eux les gens… J'aime bien creuser, tu vois…

- Je la crois sincère.

- Fais comme tu veux… Marine imagine sûrement que la raison de notre séparation, c'est Za et qu'elle m'a manipulé pour parvenir à ses fins… Alors Za n'étant plus là, certainement qu'elle pense que tout peut s'arranger entre nous…

- Tu crois ?

- C'est assez simpliste, mais ça corresponds bien au niveau de réflexion de Marine… Forcément, ça ne pouvait pas être de sa faute, notre séparation !…

- Dan, je te trouve sévère avec elle …

- Si je suis pour toi un ami, pourquoi batailles-tu autant pour imposer Marine dans ma vie puisque je te dis que j'en ai plus rein à faire, de cette fille !

- Et si tu te trompais ?

- Aucun risque ! J'ai affirmé.

- Dans ce cas…

J'ai jeté un œil vers le ciel bleu qui couvrait les sommets. Plus bas sur les pistes, quelques rares skieurs, heureux rescapés du réveillon de la veille, dessinaient des courbes colorées sur la neige.

- Tu ne fais vraiment aucun effort ! A grommelé Josi avant de tourner les talons.

Je n'ai rien répondu et je l'ai laissé s'éloigner vers l'hôtel. J'avais seulement envie d'un peu de tranquillité comme quelques minutes plus tôt, juste avant que Josi ne vienne m'entreprendre sur Marine… Avoir la paix !… Cela semblait être le dernier luxe sur cette terre ! Peut-être finalement que ceux qui avaient le courage de se faire la belle comme Za avaient raison. Finis les emmerdements, finis les faux-semblants, finies les compromissions… Oui, crever était certainement l'ultime moyen de penser à soit, de se préserver à tout jamais ? !… Pourquoi vivre ? Les animaux mangent, boivent, dorment et procréaient sans se poser de question existentielles !… Seul l'Homme a l'arrogance et la prétention de croire que son passage sur terre a une importance capitale !… Foutaise !… On ne fait rien d'autre que lutter pour donner un sens à notre existence… Et encore…

Za, je ne te pardonnerai jamais et pourtant je comprends si bien ton geste… Mais je fais partie des lâches et je suis encore là, loin de toi… J'ai tellement envie de te rejoindre et pourtant je suis si concerné par mon putain de cœur qui bat encore !… Vivant !… Je veux dire vivant biologiquement, cela semble me satisfaire !… Je me déteste !

Laurie est apparue devant l'hôtel avec sa valise à la main.

- On y va ? Elle m'a questionné.

- Oui.

Je suis monté récupérer mon sac dans la chambre. Josi et Brigitte m'attendaient en bas avec Laurie.

- Rentrez tranquillement, a dit Brigitte.

- C'est toujours non ? M'a questionné Josi.

- N'insistes pas ! J'ai répondu froidement.

On a grimpé dans la voiture et on est parti.

- Ca ne me regarde sans doute pas, mais Josi a l'air d'être le type de personne qui ne lâche pas prise facilement, a remarqué Laurie.

- Oui, et je la trouve parfois fatigante.

Laurie m'a tendu une cigarette, comme Za aimait à le faire régulièrement sur les longs parcours.

- Elle avait l'ait ennuyée par ta réponse…

- Elle voulait que je revoie Marine, j'ai lâché avec une franchise qui m'a surpris.

- Elle veut te revoir ?

- Elle, oui !

Laurie a baissé un peu la vitre et l'air frais s'est engouffré dans la voiture. Puis elle a remonté la vitre. Elle semblait nerveuse.

- Tu sais, ces systèmes sont prévus pour des milliers d'utilisations… Tu n'en arriveras pas à bout comme ça, j'ai dit en souriant.

- Il y a quelque chose qui me travaille… Et j'ai l'impression de ne pas avoir été très honnête avec toi jusque là…

- Développe, je lui ai conseillé.

- Tu sais, je suis homosexuelle, profondément homo et je n'ai jamais eu de doute à ce sujet…

- J'imagine que c'est mieux pour toi de savoir ça…

- Je n'ai jamais été hétéro et je ne le serai jamais, elle a continué…

- Qui pourrait te le reprocher ?

- Toi !

J'ai freiné un peu tard sur le tournant mais nous sommes restés heureusement sur la route.

- Un rayon de soleil, j'ai prétexté pour justifier ma bévue.

En fait l'étonnement dû à la réponse de Laurie m'avait fait perdre quelques précieuses secondes dans ce tournant trop serré

- Tu es hétéro, je suis homo, y a un problème, non ?

- Pour envisager une vie en couple, certainement, j'ai souri.

- Je n'avais pas envie de te décevoir, a dit Laurie, plus détendue.

- Notre relation est un peu particulière, c'est vrai… Ca ira mieux lorsque l'on aura chacun un chez soit… J'ai envie que notre amitié dure…

- C'est certain, ne plus vivre ensemble donnerait plus de force à notre amitié.

- Sache que pour moi ce n'est pas un constat d'échec, au contraire.

- Tu me le jure ?

- Oui !… Penser à nous, certes autrement, ça prouve que l'on a encore quelques forces pour avancer…

- Promets-moi que tu ne m'oublieras pas dès que j'aurai déménagé de chez toi…

J'ai jeté un œil à la montre de la voiture, j'ai décidé de quitter l'autoroute dès la sortie suivante.

- Où va t-on ?

- A la recherche d'un restau sympa, j'ai répondu.

- Tu m'invites ? Elle a rigolé en passant une main dans ses cheveux, telle une diva italienne.

- Après ce que tu viens de me dire ! J'ai rigolé à mon tour.

- Pourquoi ? Tu n'invites que celles qui ont une chance de finir dans ton lit ?

- La preuve !

- Idiot ! Tu m'as très bien comprise…

- Bon, tu ferais mieux de repérer les restaurants...

- D'accord… Conduis, je m'occupe du repérage.

- Si tu préfères prendre ce risque, j'ai souri.

- T'occupes, elle a répondu en commençant à balayer du regard le premier village que nous traversions.

Le soleil brillait de mille feux sur les toitures enneigées et quelques bonhommes de neiges installés dans des jardins saluaient notre passage.

- Je crois bien que la chose la plus réjouissante que j'ai pu faire en hiver lorsque j'étais jeune, c'était de construire des bonhommes.

- Moi je passais les vacances d'hiver trop au sud pour goutter à ce plaisir… Mais j'en voyais plein dans les livres et c'est vrai que les enfants qui les approchaient avaient toujours le sourire aux lèvres…

- Je te le confirme, j'ai dit.

- Comme quoi vivre dans une région méridionale n'a pas que des avantages !

- A chacun ses petites contrariétés…

- Aucune pitié, elle a rigolé.

- Tu m'avais bien dit avoir grandie face à la mer ?

- Tout juste séparée par une petite route…

- Alors non, aucune pitié pour ceux qui ont eu le privilège de s'endormir en hiver avec le bruit des vagues pour berceuse !

- Salaud !

- Tu veux qu'on s'arrête faire un bonhomme de neige ?

- Chiche !

J'ai lorgné vers le premier champ qui longeait le départementale, l'ai stoppé la voiture et nous sommes descendus joyeusement poser les pieds dans la neige pour commencer notre ouvrage.

Quand on a eu terminé le corps dodu de notre bonhomme, Laurie m'a stoppé net dans mon élan.

- Attends, je vais chercher deux branches pour faire les bras.

Elle a couru jusqu'au premier arbre et elle est effectivement revenue avec deux branches qui ressemblaient assez bien à deux bras… tortueux !

- Voilà, elle a dit une fois les bras plantés dans le corps de notre bonhomme.

- Parfait, j'ai répondu en commençant à façonner la tête.

- Minute, je vais t'aider.

La tête en place, le résultat avait déjà de la gueule. Laurie a alors tiré de sa poche le paquet de cigarette, en a retiré les trois cigarettes qui y restaient, une pour moi, une pour elle, une retournée dans sa poche.

- Le nez ! Elle a dit fièrement en enfonçant le paquet de Benson au milieu du visage.

- Pas mal, j'ai reconnu.

J'ai incrusté mon briquet au niveau de la bouche.

- Il est plein de vices, ce type ! Elle a noté.

- Il ne vivra pas longtemps…

- C'est sûr !

Laurie a fait deux jolis trous avec ses doigts pour signifier les orbites des yeux.

- Tu dois bien avoir quelque chose dans ta voiture, elle a dit en s'éloignant pour aller vérifier.

Tandis qu'elle ouvrait la porte, j'ai eu un flash.

- Les pastilles ! J'ai crié. La boite de pastille de mente devant le levier de vitesse… Prends-en deux, ce sera parfait !

Elle est revenue heureuse avec les deux pastilles vertes dans la main. Elle les a placées au niveau des yeux.

- Whaou ! Elle a fait.

- Pour une première, félicitations !

- Tu m'as bien aidé, mais il fait quand même un peu décadent !… Je suis certaine que tu n'en as jamais fait des comme ça, gamin.

- En tout cas, je sui fier de celui là…

Elle m'a embrassé tendrement sur la joue, on avait régressé avec une joie évidente, il fallait repartir.

- Pourquoi doit-on grandir ? Elle m'a demandé tandis que je réglais la bonne température dans l'habitacle.

- Pour souffrir ? J'ai suggéré. Tu sais, gamins, on croit que grandir nous permettra d'avoir les solutions à tout… En fait c'est plutôt le contraire !

- C'est vrai… Petit on se croit en danger, alors qu'en fait, on est vachement protégé.

- Enfin… Normalement…

Laurie a regardé plus fixement devant elle, oubliant un instant les restaurants que l'on pouvait croiser sur notre route.

- Za était forte, elle a affirmé. Mais à force de prendre des coups, ça fragilise…

- Je croyais pouvoir l'aider à refermer certaines blessures …

- Elle t'aimait, elle me l'a dit. Très fort. Trop fort pour te faire partager ses souffrances.

- Je voulais encaisser à sa place…

- Ce n'était pas ton rôle…

- Je sais… Mais je l'aimais !

On a traversé encore quelques villages en ayant perdu de notre entrain, notre bonhomme était déjà loin.

- Là ! Elle a dit, rompant notre sombre silence.

- Quoi ?

- Là ! Elle a insisté. A droite.

J'ai obtempéré. J'ai tourné à droite, encore à droite puis à gauche.

- On y est ! Elle a indiqué en pointant l'enseigne du restaurant.

- Tu assumes ? J'ai souri.

- J'assume.

Nous n'avons même pas pris le temps de regarder la carte qui se trouvait à l'extérieur, nous étions décidés à manger là, et pas ailleurs !

Il était 13 heures. Au fond de la petite salle, un couple avec leurs deux enfants. Le type nous a installé prés de la cheminée. Les lendemains de réveillons n'attirent pas les gens dans les restaurants et rétrospectivement, j'ai trouvé heureux d'en avoir trouvé un ouvert au cœur de cette vallée enneigée et encore ensommeillée en ce début d'année.

Une serveuse est venue vers nous avec un beau sourire. Comme depuis la nuit des temps, j'ai pu constater que ça créait des liens de se retrouver entre rescapés… Rescapés du réveillon, tandis que tant d'autres étaient encore au lit, essayant de récupérer de ce foutu début d'année trop arrosé !

Nous avons pris l'apéritif en fumant des cigarettes, le feu crépitait dans la grande cheminé, les enfants installés à la table voisine riaient joyeusement.

- Les enfants ne se font pas chier avec nos symboles à la con… Ils ont bien raison… Ils s'en foutent royalement de la nouvelle année, seule la journée qu'ils vivent les intéresse…

- J'aime les rires d'enfants, a dit Laurie.

- Moi aussi.

Fois gras, magrets au feu de bois, c'était vraiment une bonne adresse.

- Tu as eu du nez en choisissant ce restaurant, j'ai reconnu.

- J'aime avoir raison, elle a rigolé.

- Tu avais vu d'autres restaurants ouverts jusque là ?

- Franchement ? Non ! Elle s'est esclaffée. Attends, c'était déjà un exploit d'en trouver un, non ?

- D'accord, tu as été super sur ce coup.

- Tu veux un dessert ?

La serveuse a apporté la carte et nous avons plongé dans les tartes et autres îles flottantes.

- Je t'envie d'avoir autant d'amis.

- Au fond j'en sais rien si c'est une chance ou pas, j'ai répondu.

- Je trouve ça rassurant.

- J'aime tout autant la solitude…

- Pourtant ils sont là…

- Oui… Mais je sais que j'en perdrai beaucoup en route… Je n'ai jamais été un ami très fidèle… Je veux dire très présent dans la durée.

- Tu as tort.

- Peut-être… Je suis d'une sincérité totale dans l'instant, mais j'ai toujours connu des ruptures brutales en amitié.

- Pourquoi ?

- Pour me protéger ? Parce que j'ai aussi besoin de changer parfois d'environnement, pour avancer ?… En tout cas je n'ai jamais triché, ça m'évite de cogiter en me retournant sur le passé et les amitiés perdues en chemin.

- Quitter avant d'être quitté ?

- Possible…

- Tu es un mec bien, pourquoi cette peur ?

La serveuse est venue prendre la commande, Laurie se félicitait déjà de son choix.

- Les amis t'enferment dans un truc malgré toi… Quitter le cercle d'ami, c'est aussi s'autoriser à être différent, à prendre des chemins différents… On peut être les meilleurs amis du monde et ne pas avoir exactement la même vision de la vie…

- Et Josi ?

- Elle ne me respecte pas vraiment… Elle a une image de moi, voilà tout. A moi d'y coller… Ca me fait chier !

Laurie dévorait déjà du regard le dessert que la serveuse venait de poser devant elle.

- Tu aimes les pâtisseries ? J'ai souri.

- Autant que Za aimait le salé, elle a répondu.

- Je vois !… Za aurait choisi le plateau de fromages.

- Je sais.

- Et toi les amis ?

- Ils ont toujours semblé gênés par mon homosexualité… Comme une ambiguïté qui traînait par-là…

- Des personnes pas nettes dans leurs têtes, j'ai noté.

- Je suis tout à fait d'accord avec toi… Tu peux aussi bien te faire draguer par un ami hétéro, non ?

- Mais les gens ont davantage l'impression de normalité, de pouvoir se situer par rapport à ça… Un homo, on le voit différent, on met souvent du vice derrière son attitude… Des conneries…

- Si le vice n'était que l'apanage des homos ! A soufflé Laurie… Des personnes qui aiment jouer avec le désir, il y en a chez les homos et chez lez hétéros… Le vice également, mais c'est autre chose.

- Je crois que lorsque les gens se font draguer par un hétéro, ça les flattes, mais lorsqu'ils le sont par un homo, ils se sentent en danger.

- Pourtant c'est le même chose…

- Beaucoup de personnes sont prisonnières de caricatures liées aux hétéros et dès qu'elles en sortent, elles sont mal à l'aise…

- Est-ce que c'est condamnable d'avoir de l'attirance ou des sentiments pour quelqu'un, quel que soit son sexe ?

- Non !… C'est juste la société qui fait son œuvre…

- Mais la pensée de la société, ce n'est rien d'autre que la pensée du plus grand nombre… C'est facile comme excuse !

Laurie a mis à la bouche la dernière cuiller de son dessert, elle a bu une gorgée de vin puis allumé une cigarette.

- Quelque part pour les gens, l'homosexuel, c'est celui qui fait le choix de l'amour par rapport à la vie… C'est la recherche de l'amour absolu, tu vois… Voir un homo rire et être heureux, ça dérange… J'ai noté.

- On ne vole rien à personne, au contraire… Beaucoup d'homos aimeraient concrétiser leur amour par la venue d'un enfant… C'est simplement impossible biologiquement… Mais le désir reste le même… Ce n'est pas un choix délibéré de se démarquer, c'est juste une conséquente de l'amour entre deux êtres du même sexe…

- Mais les gens ont l'impression que les homos sont des égoïstes, des personnes qui se complaisent dans leur isolement…

- On ne se complet pas dans notre isolement, on nous y enferme !

- La différence est toujours mal vue… Il est plus facile de condamner que de comprendre…

- Là est tout le problème. Peut-on accepter celui qui est différent ?

- On a tendance à se réfugier derrière la normalité. Avoir trois gosses et divorcer choque moins que deux homos ensemble… C'est mieux toléré…

- A la limite, être homo et malheureux, ça va !… Mais homo et heureux, à ça, non !

- Combien de couples hétéros sont satisfaits de leur vies ?… C'est plutôt rassurant de penser que les homos ne font pas mieux !

- A chacun sa vie… Que le voisin aille mal n'embelli pas pour autant ta propre vie…

- Les gens préfèrent analyser la vie des autres …

- Za était une hétéro géniale, a lâché Laurie.

- Jamais…

- Je n'ai jamais eu le moindre doute, elle m'a coupé.

- Alors pourquoi a t-elle cherché à nous réunir ?

- Je n'en sais rien !… Enfin, j'ai été très surprise !… J'ai senti que l'on allait tous les trois dans le mur, et pourtant… J'aurais tellement aimé la séduire, vraiment !… Je crois qu'elle était très mal et qu'il fallait absolument qu'elle se raccroche à ça… Pourtant je reste persuadée qu'elle n'y a jamais cru… Moi oui, si peu, mais si fort !

- Si l'on pouvait simplement anticiper certains évènements ? !…

- Ou garder les yeux ouverts plutôt que de les fermer !

- Même en faisant attention, c'est tellement facile de se casser la gueule !

- Sans doutes… On croit se protéger et en fait on se met beaucoup plus en danger !… J'ai perdu une amie pour avoir cru à autre chose… Que c'est con !

- Tu n'en sais rien… Peut-être que c'est moi qui ai brisé son élan… J'ai pensé à moi tandis qu'elle voulait vivre ? !

- Non !… C'est près de toi qu'elle voulait vivre !… J'ai été une erreur dans son parcours…

- Tu as fait partie des personnes qui comptaient pour elle, c'est un fait.

- Quelle erreur ! Elle a soufflé.

- Arrêtes avec ça… Je peux en dire autant !…

                                                          *

Tandis que Laurie faisait ses valises, j'ai préparé un bon repas, un truc en sauce bien relevé, j'ai débouché la bouteille de vin et j'ai attendu qu'elle est terminée.

J'ai choisi un album de blues, allumé une cigarette, je me suis assis sur le canapé. J'entendais Laurie attraper ses flacons dans la salle de bain, on allait passer à autre chose, il le fallait.

- Ca sent rudement bon, elle a dit en passant la tête dans l'encadrement de la porte. J'ai presque fini, j'arrive.

- Y a pas le feu… Et puis plus ça mijote, meilleur ce sera.

- Tu me sers un verre ?

- Ca marche.

Elle a continué à ranger ses affaires tout en venant siroter son verre de vin d'orange par intermittence. J'ai pensé que le blues et le whisky se mariaient pas mal et j'ai laissé Laurie tranquille encore de longues minutes.

- Za m'avait dit que tu jouais de la guitare, elle m'a dit lorsqu'elle a eu terminé.

- Ouai.

- Tu devrais t'y remettre…

- Plus tard…

On s'est installés à la table du salon, j'avais mis quatre bougies pour marquer le coup.

- Dernière soirée ensemble, ici.

- Tu as trouvé quelque chose dans le quartier, on pourra s'inviter facilement, j'ai répondu… Je suis un type assez disponible…

- Je cuisine moins bien que toi.

- Il y a un bon traiteur dans le coin, je t'indiquerai…

- Parfait, elle a rigolé.

Nous étions alors deux amis rassurés, j'ai remis une bûche dans la cheminée.

- J'aime ta maison.

- Je l'ai aimée, détestée, aujourd'hui je n'ai pas vraiment d'avis sur la question.

- Ca aurait été chouette un gamin, ici.

- Tu veux me flinguer ou quoi ?

- Désolée.

- Non, tu as raison… Un mélange de Za et moi, pour parodier une chanson, j'ai dit en souriant douloureusement. On adorait cette chanson, l'été où l'on s'est rencontrés. Ca disait entre autre " on pourrait faire un bébé, p'tit bébé, mélange de toi et moi "… Mais on a tout foiré après avoir eu l'impression d'être si bien ensemble… Ne pas arriver à rendre heureuse la femme de sa vie, c'est un sacré échec, impardonnable, insupportable !

- Je suis désolée d'avoir évoqué cet enfant…

- Faire le deuil de quelqu'un, c'est arriver à parler de lui sans trop trembler… Arriver à parler des moments partagés… Arriver à parler également des moments que l'on aurait pu continuer à partager… La vie est rude !

- C'est idiot, mais dès que je vous ai vu, j'ai imaginé l'enfant que vous auriez pu avoir ensemble… Il aurait été beau !… Comme vous, le mélange ne pouvait donner qu'un bel enfant !

- Et si… J'ai dit en remplissant nos verres.

- Il faudra arriver à respirer avec son absence ancrée en nous… Moi la fautive, toi son amour…

- Ne recommence pas avec ça, s'il te plait. Vivre avec son absence ancrée dans nos cranes, c'est sûr !… On le fait déjà, non ? !

- Ne joues pas avec les mots !… Tu as compris ce que je veux dire…

- On a fait le choix de continuer à vivre, alors on n'aura aucune excuse !… Za a choisi une voie, la mort, nous une autre, la vie, on y arrivera ou on sera des trous du cul !… A nous d'assumer notre choix, sinon…

- Sinon on gouttera à des années de malheur…

- Je suis certain que l'on peut s'y habituer, c'est ça le pire !

- On peut se nourrir de tout !

- Même de la négation parfaite de soit !

- Alors il faut être vigilant…

- Toi aussi tu le seras ? Je l'ai questionnée.

- Nous formons une équipé mal barrée pour être parmi les meilleures…

- Je compte sur toi pour tenir le cap…

- Dan, tes blessures sont différentes, plus béantes peut-être, j'essaierai de tenir le cap…

- J'éviterai de trop t'emmerder…

- Jamais tu ne m'emmerderas…

- Une équipe soudée, c'est déjà pas si mal !

- Je t'aime… Enfin…

- OK ! Je l'ai coupé… Moi aussi je t'aime.

Elle a souri, son visage était éclairé par le feu vivant dans la cheminée.

- Félicitations pour le repas !

- Merci…

Il était tard, les valises de Laurie étaient prêtes. J'ai attrapé la bouteille de whisky et je me suis servi.

- Tu bois trop, elle m'a dit.

- Je sais, mais c'est vachement apaisant… Mieux que les médicaments que m'a prescrits le toubib… L'alcool peut être un bon allier, vraiment…

- Plutôt quelque chose qui te brise lentement !

- Je me souviendrai de ton conseil !

- Arrêtes d'être cynique !

- Sans aide je n'y arrive pas !

- Change de béquilles, je t'assure !

- Ca prouve au moins que je n'ai pas l'intention de me casser définitivement la figure….

- C'est une illusion parfaitement en désaccord avec ce que tu dis, oui !…

- Merde, je peux boire un verre, non ? !

- Bien sûr, c'est ton droit !

- Je te l'ai dit, je vais penser à lever le pied…

- Fais-le rapidement… Vivre loin d'elle, ce n'est pas boire comme un con !

Laurie avait mal, je le voyais sur son visage. Elle souffrait de me voir ainsi, moi aussi. On ne boit pas sans garder une certaine lucidité. Je buvais par plaisir, surtout par désespoir, je le savais. On ne s'envole pas bien haut avec ce genre de truc, mais prendre un peu d'altitude peut être grisant, puis devenir une parfaite fuite en avant !… Laurie avait raison et moi tort… C'est toujours agaçant d'avoir tort !

- Elle croyait quoi, Za, en se barrant comme ça ? J'ai dit, les doigts crispés sur mon verre.

- Je n'en sais rien, mais certainement pas t'envoyer en enfer !

- Ah ! Bon ? ! J'ai ricané.

- Tu ne voulais pas le bonheur de Za ?

- Oui !

- Et bien je pense que la réciproque était vraie… Malgré son geste…

- Parfait !… Ca m'avance  à quoi ? !… Laurie, je suis seul sans Za et ça me bouffe !… Alors pour l'instant j'ai ça, j'ai dit en pointant un doigt sur la bouteille de whisky.

- Je suis là…

- Et je t'en remercie, je l'ai coupée.

- La vie peut être chouette, non ? Elle a dit, peu convaincue.

- Merveilleuse, et terrifiante parfois, malheureusement… Et avec ça il faut trouver le bon équilibre… Arriver à goûter au bonheur avec des machins plantés dans le corps, ce n'est pas évident…

- Merde, Dan !… Personne ne se secoura à notre place !

- Je sais !

- Tu préfères que l'on aille se foutre en l'air en se tenant par la main ?

- Il doit y avoir mieux à faire, je le conçois… Tiens, discuter par exemple devant un feu de cheminée, j'ai souri amèrement.

De la buée s'était accrochée aux carreaux du salon, il devait faire sacrément froid dehors. Salle hiver !

Je me suis levé pour aller remettre de la musique.

                                                          *

Josi avait laissé plusieurs messages sur mon répondeur mais je préférais laisser passer quelques temps avant de reprendre contact avec elle.

La seule personne que je continuais à voir très régulièrement était Laurie. On s'invitait souvent, chez l'un ou chez l'autre. Nous restions deux célibataires complices, nous restions deux bons amis avançant sur la même route chaotique.

Laurie avait trouvé un nouveau job dans une galerie d'art, elle voyait du monde, elle semblait être heureuse. Je la priais de ne pas trop se pencher sur mon cas et de penser à elle.

Il m'arrivait également de sortir le soir avec Laurie et ses connaissances du moment. Ces soirées se ressemblaient toutes mais ça occupait le temps… C'était là le seul intérêt que j'y trouvais. Peu importait au fond là où nous allions, tout le monde affichait un sourire satisfait à chaque fois que l'on se quittait en fin de soirée ou tard dans la nuit. Chacun indiquait ainsi aux autres sa faculté à passer du bon temps… Foutaise !… Faire semblant que la vie était un superbe manège sur lequel on virevoltait loin des tracas quotidiens, c'était un truc qui m'avait toujours emmerdé !…

- C'est fascinant le nombre de personnes qui sont là et qui ne connaissent rien à l'art, m'a dit un jour Laurie lors d'un vernissage. Ne serait-ce que ressentir des émotions face à une peinture ou une sculpture, elle a ajouté.

- On vit dans le monde du paraître, j'ai noté. L'important pour la majorité, c'est de raconter qu'ils sont allés à un vernissage, cela semble les valoriser intellectuellement !

- Ils ont la même approche pour l'art que pour un voyage à l'autre bout du monde.

- C'est ça la pression sociale… Briller aux yeux des autres pour se donner l'impression d'exister !

- C'est triste !

- Tu vois, je trouve que vibrer devant une œuvre d'art, être capable de chialer devant un tableau, c'est signe de bonne santé…

- Tu les trouves vivants, toi ? ! Elle m'a questionné en balayant la galerie et les invités du regard.

- Pas vraiment… Je pense qu'ils sont plus sensibles au choix du champagne ou des petits fours que des œuvres exposées…

- Comme les gens qui voyagent à l'autre bout de la terre et préfèrent manger une pizza ou un steak fritte plutôt qu'un plat local !

- Ah !… La curiosité… C'est pas un truc très répandu, je crois !… De toute façon, jamais personne n'est mort d'être trop con !

- On est invité tout à l'heure à un repas avec quelques-unes des personnes qui sont là… Elle a dit en faisant la grimace. Tu préfères que l'on aille manger un bout par-là, tous les deux ?

- Si j'ai le choix, je préfère autant, j'ai répondu.

Laurie a fait acte de présence quelques minutes encore, souriant à des types qui essayaient de prendre un air profond pour poser des questions sur telle ou telle toile, de préférence celles qui se trouvaient le plus prés des petits fours ! De mon coté, je regardais ces gens qui essayaient de faire étalage de leurs connaissances plus que d'échanger avec les autres. C'est terrible parfois de prendre un peu de recul !

Za adorait l'art, en général. Elle trouvait formidable de pouvoir exprimer un ressenti avec autant de pureté, de force, d'honnêteté. Il y avait bien quelques exceptions, des pseudo artistes perdus ici ou là, Za les ignoraient et voulait se nourrir seulement des artistes, des vrais, ceux qui se mettent en danger sans calculer, ceux qui ont quelque chose à dire, les instinctifs.

Za regrettait de ne pas avoir eu de don artistique particulier.

"  Tu as de la chance de jouer d'un instrument ", m'avait-elle dit un jour que je jouais sur ma guitare. 

- Tu penses à quoi ? M'a demandé Laurie en revenant vers moi.

- A Za !

Elle s'est tue.

- C'est bon, on peut y aller, elle a dit sobrement.

                                                         *

Je suis sorti du travail un jour de plus la tête ailleurs, la haut, si loin de tout…

Le ciel était rosé, on s'activait pour rentrer chez soit ou pour aller récupérer les enfants à l'école.

Je me suis arrêté boire un ballon de blanc dans un café et j'ai pris une décision. Il fallait que j'aille acheter un jeu de cordes pour ma guitare. Je connaissais le magasin de musique le plus proche, j'ai payé et j'ai filé effectuer mon achat.

J'ai choisi des médiums et j'en ai profité pour choisir également quelques médiators sur le présentoir.

Je suis rentré à la baraque, soulagé d'avoir fait quelque chose de positif de ma journée.

Quatre nuages s 'étiraient dans le ciel comme un train imaginaire d'enfant, le soleil envoyait sur la ville les derniers rayons du jour, il faisait encore froid dehors.

J'ai déposé le jeu de cordes sur la commode en entrant, j'ai attrapé un verre et la bouteille de whisky.

Putain !… J'ai senti que j'allais en baver pour me décider à changer les cordes de ma guitare. Jusque là j'avais cru avoir fait un petit pas, décider, acheter, être à l'écoute d'une envie, c'était tellement nouveau et inattendu. Mais une fois rentré, voilà que je retrouvais mes vieux démons, tout juste capable de m'affaler sur le canapé et de boire !

J'ai tenté de faire une brève analyse de ma vie, ce n'était pas brillant !… Peut-être finalement que le temps nous broie tous, irrémédiablement… Certainement que personnellement, j'avais était englouti par cette machine infernale un peu prématurément ? !… Les projets, les vrais, ceux que l'on arrive à réaliser un jour, je les ferais éventuellement dans une autre vie !…

Mais bon !… Ne dit-on pas que la chance se provoque ? Avais-je à ce point manqué d'ardeur, de certitudes, de volonté, d'exigence ? !… Avais-je laissé filé le plus beau par ignorance ?… Avais-je oublié de lutter ?… Et merde !

J'avais cru pouvoir construire et je me retrouvais sur de superbes ruines, à perte de vue. C'était ça la réalité, il fallait que je l'accepte et que je la prenne en pleine gueule !

Finalement, j'ai réussi à lever mes fesses de sur le canapé pour aller chercher la guitare. Je l'ai attrapé par le manche, affectueusement, comme une amie trop longtemps oubliée et je l'ai ramené au salon, j'ai allumé une cigarette, rempli mon verre d'alcool.

J'ai tourné successivement les mécaniques pour détendre les cordes. Lorsque j'ai eu enlevé la dernière corde, j'ai entendu un petit bruit dans la caisse. Surpris, j'ai retourné la guitare et le j'ai secoué jusqu'à ce que cette chose tombe à travers la rosace à présent béante… Et c'est un papier soigneusement plié que j'ai vu voler jusqu'à mes pieds. Comment un papier avait-il pu glisser là-dedans ?… Puis je me suis glacé, j'avais compris, tétanisé !… C'est comme si Za était revenue soudainement, un truc terrible. Za allait me parler, à travers ce mot, cette lettre… J'allais découvrir des mots neufs sortis de sa tête… Une jubilation destructrice m'a envahi, j'ai bu une grande gorgée de whisky, je suis allé mettre se la musique, un album que l'on adorait tous les deux. Je m'apprêtais à passer un dernier moment avec Za encore vivante, un ultime moment, il ne fallait surtout pas que j'oubli quoi que ce soit. J'ai allumé une autre cigarette. Jamais je n'avais imaginé retrouver Za si subitement, si violemment… Bien entendu, elle m'habitait sans répit, mais elle était partie… Et voilà qu'un chamboulement si improbable venait de me frapper ! Oui ! Si improbable ! Je me suis assis sur le canapé, j'ai posé le papier à coté de moi.

" Fait chier ce putain d'hiver ! " J'ai dit à la pièce vide. 

Non ! Je parlais à Za ! Comme si l'on avait pu encore se parler… Après tout je le pouvais bien, puisqu'elle allait le faire sans me donner la possibilité de lui répondre. J'avais le droit de m'épancher un peu et de lui parler de moi …

" C'est dur, tu sais ! " J'ai dit en baissant la tête. 

J'ai effleuré le papier de mes doigts pour me rapprocher un peu plus de Za.

" Ah oui ! Laurie est devenue une amie… On s'est serrés les coudes quand tu nous a quittés, peut-être pour se faire pardonner ?… Mais tu avais raison, Laurie est quelqu'un de bien… "

Je sentais des trucs se passer dans mon crane. Malgré l'alcool qui dévalait dans mes veines, il me semblait être capable de garder les idées claires, comme si une lucidité sacrée m'habitait. Ce n'était bien sur pas le cas, juste une impression…

J'ai continué de boire.

" Merde !… Tu croyais quoi, que j'allais m'en sortir sans toi ?… Tu as présagé de mes forces, je t'assure ! "

Je tenais à présent le papier serré entre mes doigts.

" J'ai connu la souffrance de l'absence lorsque tu était partie, tu t'en souviens ?… Je dois accepter à présent ton absence définitive… Terminé l'espoir de te retrouver, l'espoir de vivre à nouveau ensemble… Cette absence là, elle est glaciale, angoissante, tueuse de vie !… Tiens, Laurie m'a parlé de cet enfant que l'on aurait pu avoir, toi et moi, j'ai dit en ricanant douloureusement… Du vent tout ça ! ! "

Je refusais encore de déplier le papier, Za restait tranquillement installée à coté de moi. Une seconde j'ai cru que c'était encore possible, que Za allait sonner à la porte et réapparaître… Je commençais à délirer, l'alcool se jouait de moi mais j'avais pourtant encore besoin de son aide !

En fait, je me laissais encore un peu de temps avant de m'effondrer… Je suis allé jusqu'à la cuisine attraper un paquet de chips.

" Je reviens " j'ai lancé derrière moi.

En repassant devant la commode située dans l'entrée, j'ai regardé le jeu cordes de guitare posées dessus. MI, LA, RE, SOL, SI, MI… On pouvait jouer toutes les musiques du monde avec… Et même trouver des lettres cachées au fond d'une guitare !

Canapé. Alcool. Cigarettes. Chips.

" Mon monde est devenu un peu étriqué, je sais… Je me force bien à sortir parfois mais le cœur n'y est plus. Désolé si je te déçoit !… "

La lettre était là, tout à coté, Za me tenait chaud, je la remerciais de penser encore à moi !…

Comme un dernier moment d'intimité, j'ai commencé à déplier le papier fiévreusement.

Et j'ai lu.

" Dan,

Je sais que c'est terrible de te demander d'être heureux suite à mon geste, pourtant c'est la dernière chose que je souhaite.

En me libérant de moi, je te libère de moi. Tu ne seras plus prisonnier des tumultes de mon existence.

Ce soir tandis que tu dors, j'ai le cœur qui tremble. Ce que je ferai demain tu ne peux l'imaginer. Je te regarde dormir paisiblement, tu es beau, je t'aime.

J'ai tout fait pour ne pas baisser les bras, autant d'efforts restés vains. Je crois bien que j'ai été bousillée très jeune, engloutie, balayée par la résignation de mes parents, par leur incapacité à construire du bonheur. Moi, j'ai été cette petite chose débarquée au milieu de cette tempête et j'ai tout juste réussi à sortir un peu la tête de l'eau pour ne pas sombrer plus tôt ! C'est sans doute là le seul exploit de ma vie !.

Bien sûr il y a toi !

Il y aussi cet enfant imaginaire entre nous, car tu es le seul qui aurait pu me donner un enfant, le seul qui aurait pu être le père de mon enfant. Pardon d'abandonner aussi ce projet.

Je suis malade de vivre.

Za "

J'ai replié machinalement la lettre.

Je me suis frotté le crane à m'en faire mal. La bouteille de whisky à portée de main, j'ai fermé les yeux et j'ai pleuré.

" Pardon ! " J'ai sangloté.

Je suis allé jusqu'à la fenêtre, la nuit effaçait le jardin et semblait effacer la nuit.

Les heures ont passé sans me laisser une seule chance de m'endormir.

Je buvais et fumais encore jusqu'au matin…

La sonnerie du téléphone m'a fait sursauter ! La nuit blanche que je venais de passer avait anesthésié mon cerveau et aiguisé mes nerfs. J'ai sauté sur le combiné.

- Oui ? J'ai dit sèchement.

- C'est Pierre… Brigitte a accouché cette nuit ! C'est un garçon, Antoine !

- Alors tout s'est bien passé ? Je l'ai questionné.

- Oui !… J'ai laissé Brigitte dans la chambre avec Antoine.

- Ca fait quoi d'être papa ?

- C'est violent et irréel !…

Je pouvais comprendre ce sentiment… Pour d'autres raisons. Pierre était en train de bouffer la vie à pleine bouche, j'en faisais autant avec la mort !

- Je passerai dans la journée.

- Ca nous fera plaisir, il a répondu, complètement chamboulé.

- Félicitations, Pierre… Et embrasses très fort Brigitte et Antoine.

J'ai raccroché et j'ai remercié secrètement Paul de m'avoir jeté la vie à la figure.

" Za !… Brigitte et Pierre sont parents !… Leur petit Antoine est né cette nuit ! "

Je suis allé dans la cuisine préparer une pleine cafetière.

"  On va s'en sortir ", j'ai souri.

FIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


07/03/2011
0 Poster un commentaire